On n’hérite pas seulement de manière consciente ni personnelle d’ailleurs.
La mémoire d’un territoire, son esprit, flottent parfois dans l’inconscient collectif des peuples.
Alors que pourrait avoir à transmettre une commune aussi jeune et culturellement dépendante de l’exploitation que Montceau-les-Mines ? N’est-ce que le caractère de ses habitants ? La contestation peut-elle s’hériter ? L’esprit de lutte irrigue-t-il les générations quelques soit leur statut social, leur âge, leur sexe, leur origine, leur obédience politique ?
C’est pour répondre à ses multiples et complexes questions, que le réalisateur montcellien Benjamin Burtin a souhaité interroger celles et ceux qui peuplent cette ville. Syndicalistes, musicien-ne-s, élu-e-s ou simples citoyen-ne-s, toutes et tous livrent une relation intime avec leur territoire et leur engagement, lors d’entretiens tendres et subtils menés par l’ethnologue Caroline Darroux.
Retour d’expérience de Caroline Darroux
On a ce projet de trouver des personnes qui nous parlent de Montceau, de leur attachement à cet endroit.
On se dit qu’on accèdera à quelque-chose de plus profond, que les gens d’ici portent en eux. Un esprit, une culture, « quelque-chose » de singulier qui dure et qui évolue.
J’ai envoyé des sms : « on cherche quelqu’un à Montceau qui travaille à l’usine et qui voudrait dire ce que représente cette ville pour lui, un montcellien ! »
Ton nom est sorti le premier. Je fais toujours confiance aux réponses radicales qui me sont données. On n’a pas tergiversé. On t’a contacté. On ne se connaissait pas. Tu nous as accueillis chez toi, à un croisement de campagne et de ville. Seul le tintement des carillons brisait les premiers silences entre nous.
Tu nous avais dit qu’il fallait que tu enfermes ton chien, parfois il mord, mais c’est pas méchant. Un chien montcellien, quoi !
Salut ! Poignées de main d’usage. Les gars installent le matériel et sont très taciturnes, alors je fais la conversation avec toi, on brise la glace, tu payes un café. Tu as envie de bien nous accueillir, tu as des trucs à dire même si tu es inquiet, tu n’as jamais fait ça.
En fait, nous, dès les premières minutes, on sait qu’on t’a trouvé, on te reconnaît. Je ne sais pas trop comment expliquer. Ça se place entre ton œil sincère et ta parole droite, dans une sorte d’économie aussi.
Pas de fioriture.
On s’installe dans ta cuisine et on parle. Tu dis à des inconnus ce qui t’a fabriqué. Tu parles peu.
Tu parles avec ton cœur protégé par un couteau.
Tu as dit quelque-chose qui n’est pas dans le film, quelque-chose au moment où on partait.
Tu m’as expliqué que tu travailles la gomme des pneus. Tu finis la journée couvert d’une épaisseur noire, tu dois te laver avant de retourner à la vie normale. Tu dis que tu en prends plein les poumons.
Flash-back dans ma tête : un ancien, enfermé avec ceux qui n’ont plus tous leurs esprits dans une maison de Montceau. Cet ancien, je l’ai emmené au musée de la mine. Celui que ton grand-père et que ton père ont contribué à construire. Le vieux fou redevenait ancien mineur dans ce musée, nous avions de longs échanges. Il parlait du corps qui souffre, de la fraternité des étrangers face à la mort, au fond de la galerie. Il parlait de la chaleur humaine, il se souvenait comment rallumer la lampe. Il avait laissé au fond des bouts de sa vie, des morceaux de poumons, des bouts de doigt, il n’entendait pas clair. Je ne m’expliquais pas ce qui lui arrivait à chaque fois qu’on entrait dans ce musée.
Le petit musée le gardait de la confusion, les militants qui faisaient les visites le préservait, lui et ses semblables, de l’effacement quasi colonial de son existence.
Il revenait à la vie.
Tu me l’as fait comprendre, le message était le même : rien, au-delà de la liberté. Enlevez-nous les mines, il nous restera la fraternité, enlevez-nous la fraternité, il nous restera la folie. Mais on ne lâchera pas, jusqu’à retrouver ce qu’on a perdu.
Puis tu as dit autre chose. Tu ouvriras un bar, si tes rêves se réalisent un jour. Et tu feras revivre le Galion… Nous on sera avec toi sur ce coup-là !
Le programme FIGURES, à la recherche de la persistance de l’esprit de lutte est soutenu par le Ministère de la Culture – DRAC Bourgogne-Franche-Comté