On parle souvent d’Hanicka Andrès sur ODIL. On pourrait croire que c’est parce qu’on fait la promo de nos potes locaux ou qu’on est en panne d’inspiration. Ce n’est pas le cas. Hanicka habite du côté du Creusot, à la campagne. Depuis quelques années je la croise, on s’apprivoise, surtout virtuellement.

Elle travaille à la mairie, au Point Jeunesse, où elle déborde d’inventivité pour proposer aux jeunes des projets de qualité. Hanicka est aussi metteuse en scène (le correcteur orthographique voulait que j’écrive « menteuse en scène », et j’étais pas du tout d’accord !) et une photographe incroyable. Depuis quelques années donc, je suis son travail en ligne.
Ses photos ne sont pas juste belles, ce qui suffirait en soi. Ses images sont sensibles et ouvrent des fenêtre sur des inconnus au destin peu souvent mis en lumière. C’est une petite fourmi Hanicka, robuste et persévérante. Elle lâche jamais l’affaire et elle me surprend chaque fois. Ses photographies parlent d’un monde où on se rencontre, où la figure de l’étranger ne fait pas peur mais enrichit, où l’Autre nous bouscule avec beaucoup de douceur.
C’est en partant d’un détail, d’un visage, d’une discussion qu’elle tisse une histoire qui nous dépasse un peu tous mais qu’on incarne en étant protagonistes plus ou moins actifs de la vie de nos voisins… L’intimité prend toute sa place dans ses propositions. Il n’est jamais question de voyeurisme ou de sensationnalisme. Hanicka nous offre des récits de vie déposés au creux de la confiance qui lui est faite par ces femmes et ces hommes. Elle pose une loupe sur les mouvements subtils de leurs existences.
Cette semaine, elle partage sur son site le journal intime d’une maman en « guerre ». J’avais envie de vous le partager parce qu’il me tarde de boire un café en terrasse avec Hanicka, pour l’entendre me parler de tout ces inconnu·es qu’elle a rencontrés.



18/03/2020 – 2ème jour du reste de ma vie : ORGANISATION DU SIEGE

9134 cas confirmés, 264 décès

Il y a deux jours Emmanuel Macron nous annonçait avec solennité l’état de guerre contre l’épidémie. Nous avons pris des décisions en famille pour préparer l’état de siège ; Julien, un ami que nous hébergeons depuis plusieurs mois, Emilien et les enfants, resteront à Saint-Pierre-de-Varennes pour retaper la maison achetée. Je serais chargée de faire la navette entre notre maison actuelle et Saint-Pierre-de-Varennes, pour les ravitailler, faire leur lessive, relever le courrier, payer les traites, … Ils vivront le confinement à 100% et je serais la seule à me confronter au « monde extérieur » en prenant toutes les précautions possibles. Ce 18 mars, nous nous retrouvons tous à Saint-Pierre-de-Varennes pour installer le camp. Matelas et duvet, nourriture, affaire de toilettes, table de salle à manger improvisée sur des tréteaux, … Emilien, contre toute attente, décide de faire un feu pour brûler la paille débarrassée des granges et le vieux bois pourri qui envahissait l’étable. Il s’agite, se pose un instant, noyé dans la fumée épaisse qui se dégage du foyer, s’agite à nouveau pour le réalimenter, … sans un mot. Je suis assise dans l’herbe et je l’observe. Je le connais bien ; son statut d’homme de la maison est soudainement mis à l’épreuve dans une situation qu’il ne peut pas contrôler. Il s’inquiète pour moi, les enfants et sa famille restée au loin. Désemparé !

19/03/2020 – 3ème jour du reste de ma vie : LA TREVE AVEC MES ADOS

10 995 cas confirmés, 372 personnes décédées depuis le début de l’épidémie

Je préssentais dans cette situation, que le plus difficile à gérer serait l’état émotionnel de mes deux enfants adolescents. Abreuvés de fake news sur les réseaux sociaux, ils m’ont à peu près sorti tous les arguments possibles pour pouvoir se dégager de la contrainte de l’enfermement ; « ça ne touche que les anciens », « c’est comme une grippe mais en plus fort ; ça se soigne », « c’est un complot, une manipulation des gouvernements », … Pour finalement exploser de colère : « c’est pas possible, je vais péter un câble », « je m’en fiche de mourir, je préfère vivre à fond ! », « je suis majeur, je fais ce que je veux ! », …

J’ai laissé passer le séisme de revendications et de leurs émotions, pour leur demander calmement : « je dois aller faire des courses. Est-ce que vous avez besoin de quelque chose de particulier, d’indispensable ? Dites-moi, car désormais, je ne pourrais pas y aller très souvent ! ». Leur réponse fut immédiate : « on va te faire une liste ! ».

La nourriture ça réconcilie toujours les esprits les plus rebelles !

Voici leur liste :

  • Du coca vanille,
  • deux paquets de bonbons,
  • des Kinder,
  • du sirop à la fraise

#laviecontinue

21/03/2020 – 5ème jour du reste de ma vie – NEIGE PRINTANIÈRE SUR CHAMP DE BATAILLE

14 459 cas confirmés, 562 personnes décédées depuis le début de l’épidémie.

Les heures s’égrènent au rythme lent du confinement. Aujourd’hui, je parviens à analyser plus ou moins mon état émotionnel (comprendre, pour mieux gérer). Je suis coincée entre l’état d’urgence, lié à la situation de pandémie qu’il faut rapidement stopper, et l’immobilisme contraint. Noeud serré au coeur de mon estomac, symptôme de ce conflit intérieur ; il faut faire vite, en ne faisant rien. La sacro-sainte phrase « Je n’ai plus le temps » n’a plus aucun sens. Du temps, j’en ai à revendre, mais surtout à donner. Je suis en contact régulier par Messenger avec quelques amies ; nous échangeons des blagues, des recettes de cuisine, mais surtout sur la façon dont nous gérons ce quotidien confiné, dans l’urgence. Je propose aux volontaires de participer à l’écriture d’un journal de bord en m’envoyant un petit texte qui résume leur journée, accompagné d’une photo pour illustrer leur propos – Confinement ordinaire pour femmes d’exception. Elles se prêtent au jeu facilement; elles aussi ont besoin d’exprimer leur ressenti. Ça me fait du bien de faire du bien !

Hier soir avant d’aller me coucher, je me regarde dans le miroir. Ça non plus, ce n’est pas habituel. Je ne mets jamais beaucoup de temps à me préparer. Je suis quelqu’un qui est toujours resté simple, préférant passer plus de temps sur des choses qui me paraissent plus essentielles que mon image sociale. La seule véritable coquetterie que je m’accorde à 57 ans, c’est une coloration mensuelle. Ma gentille coiffeuse Pauline a dû fermer ses portes. Sur son paillasson, qui attend son retour, une trainée de neige à la racine de mes cheveux.  En sortant de la salle de bain, je croise le regard d’Emilien, mon compagnon. « Tu as vu ? C’est une catastrophe ! » en lui montrant mes racines blanches. Il me prend par la main et m’invite à m’assoir sur notre lit. Il s’éclipse pour revenir avec une brosse à cheveux et pendant de longues minutes, je sens son amour glissé sur ma chevelure.


Conversation téléphonique avec ma maman, 77 ans, qui vit seule dans le sud de la France, à 5h de route de chez moi.

22/03/2020 – 6ème jour du reste de ma vie – CONVERSATION TELEPHONIQUE DE CAMPAGNE

Moi : « Allô ! Devine qui c’est ? »
Maman : « C’est ma grande fille ! »
Moi : « Bravo, tu viens de gagner le droit de rejouer très bientôt ! Comment vas-tu ? »
Maman : « Je vais bien ! ne t’inquiète pas ! Parles-moi plutôt de vous. »
Moi : « Tout va bien ici ! Tu t’es organisée pour les courses, comme je te l’ai demandé ? »
Maman : « Oui ! je me déplace le moins possible et je ne vais que dans les petits commerces, à Coustellet. Hier, je suis allée à la banque pour retirer un peu d’argent ! »
Moi : « Tu mets des gants ? Il faut mettre des gants ! »
Maman : « Oui et j’avais un masque aussi ; j’en ai trouvé un que j’avais acheté pour poncer un vieux meuble ! Hier, j’ai appelé la voisine pour prendre de ses nouvelles et elle m’a agressé. Elle m’a presque envoyé balader. »
Moi : « Ah oui ? Mais pourquoi ? Vous êtes amies toutes les deux non ? »
Maman : « Oui mais sa fille travaille à l’hôpital, et elle s’inquiète beaucoup pour elle ! Je pense qu’elle craque ! »
Moi : « Oui, ça doit être ça ! Il ne faut pas lui en vouloir. »
Maman : « Je ne lui en veut pas. Je comprends que ça doit être difficile à vivre ! Je vais attendre quelques jours et je la rappellerais ! »
Moi : « Oui, fais comme ça, c’est bien ! Dans cette situation, il faut prendre du recul, face au comportement de chacun. C’est compliqué de gérer ses émotions ! »
Maman : « J’ai voulu m’acheter du bois pour alimenter mon poêle, mais il n’y en avait plus ! Tu te rends compte ? Du coup, j’ai rallumé le chauffage électrique, je me suis dit que ça n’avait pas d’importance. Ici, il fait beau, mais les soirées sont encore fraîches. Je me suis dit qu’avec les 300 euros que l’agence m’a remboursés pour l’annulation de mon voyage en Espagne, je pourrais payer cette dépense imprévue. Je ne suis pas partie, mais je retrouve la chaleur des douces soirées espagnoles en mettant le chauffage à la maison (rire partagé). Je pense que je vais me faire un cocktail et regarder un documentaire sur les plages espagnoles pour y être complètement ! (rire partagé).  Tu ris ma fille ?!, j’aime t’entendre rire ! Ça me fait du bien ! »
Moi : « Moi aussi, ça me fait du bien de rire avec toi ! Je t’aime maman ! »
Maman : « Moi aussi, je t’aime, on va s’en sortir ! »
Moi : « Oui maman, on va s’en sortir ! »

Pour découvrir l’intégralité de son travail, on vous à lire chaque jour le Journal intime d’une maman en « guerre » .

Laëtitia

Photographies : Hanicka Andrès