Faire le tour en un article de tout le travail artistique de la talentueuse Anaïs Blanchard, c’est chose impossible !
La gracieuse fresque poétique qu’elle a réalisé pour la chanteuse Émilie Zoé est l’opportunité de lui poser quelques questions !
Cinq minutes de pure douceur, son clip expérimental vous ouvre des bras bienveillants pour un moment dédié aux flocons et à la pluie de neige.

The Barrend Land, version longue du clip réalisé par Anaïs Blanchard


Anaïs, tu as pas mal de cordes à ton arc ! Tu dessines, tu écris, tu fais tourner une spectacle en art de rue ( On boira toute l’eau du ciel ), c’est beau d’explorer tant de formes d’expression ! Comment en es-tu arrivée à toucher à tout ?

Et même je chante ! Hahaha ! Je n’ai jamais réussi à me focaliser sur une seule pratique et ça depuis que je suis enfant. C’était l’angoisse pour moi de devoir choisir entre les arts plastiques, la danse ou la musique. On est tout de même obligé de faire des choix dans la vie alors je me suis orientée vers les arts plastiques et plus précisément sur la vidéo et la performance durant mes études. Tout en continuant à faire le reste. Et puis quand on a monté le collectif La Méandre, c’était un endroit parfait pour tout essayer, même ce que je ne connaissais pas du tout. On a fait beaucoup d’échanges de compétences, chacun apprenant aux autres sa pratique principale, avec beaucoup de légèreté. C’est comme ça que je me suis retrouvée dans un spectacle en caravane !

Jour 20
En équilibre
Faire confiance à son intuition
Aller danser
Les gens qui dansent ne meurent pas

Illustration et texte de Anaïs Blanchard

Parles-nous du clip The Barren Land, c’est quoi son histoire ? Où as-tu capté toute cette neige ?

J’avais déjà fait un clip pour Emilie il y a quelques années (Leaving San Francisco) et on voulait réitérer la collaboration. The Barren Landest mon morceau préféré du disque (The Very Start, dont j’ai également signé l’artwork). Je rêvais de faire des images dessus. C’était en mars dernier, Emilie m’a invitée à passer quelques jours en Suisse où elle habite, et je n’avais pas d’idée précise sur ce que nous allions faire… 

Le morceau est assez particulier, il est composé de trois parties musicales très différentes et ça parle de voyage dans le temps, de la théorie d’Everett, alors j’avais aussi envie de faire des parties distinctes dans la vidéo. On a beaucoup réfléchi avec Emilie et on bloquait un peu sur le sens alors on est parti sous la neige de La-Chaux-de-Fonds en voiture, et la neige s’est mise à danser. J’ai alors filmé de jour, de nuit, à travers le pare-brise, en faisant aussi poser Emilie et Nico et en laissant faire les choses, et ça a constitué la partie du milieu du morceau. Je n’ai jamais de story-board.

Pour le montage, j’ai essayé de travailler les images à l’endroit, à l’envers, en marche arrière, pour coller avec cette histoire de mondes multiples. Dans la dernière partie, on s’est amusées à faire bouger des blocs de neige et ils ne bougeaient jamais comme on voulait. Je me suis servie de tous les plans que j’avais jeté à la poubelle et j’ai zoomé dedans pour accentuer la lenteur et contraster avec le côté super brut de la musique.

La première partie est assez différente du reste. Pour moi c’est une introduction au morceau. Elle a été tournée à Besançon il y a quelques années, avec une caméra waterproof que j’ai plongé sous l’eau, presque à la surface, en essayant de filmer les arbres et le soleil vus du dessous. J’ai eu tellement peur de la faire tomber au fond de l’eau ! Il y avait du courant ! Ces images me font penser à la fonte des glaces et à la montée des eaux,  je ne sais pas pourquoi, et avec Emilie, on a trouvé que le clip résonnait avec les changements climatiques car cette année, il n’y a pas autant de neige en Suisse.

Photogramme issu du clip The Barren Land, réalisé par Anaïs Blanchard
Photogramme issu du clip The Barren Land, réalisé par Anaïs Blanchard


Tu fais partie du collectif La Méandre à Chalon-sur-Saône, s’entourer d’autres artistes, c’est être plus fort pour créer ?

C’est essentiel ! Même si j’aime parfois m’isoler pour faire des choses, dessiner. Quand tu travailles avec d’autres artistes, c’est plusieurs visions et plusieurs univers qui se rencontrent et se mélangent, et ça peut donner des choses folles. C’est sur ce principe-là qu’est née La Méandre. Après, il faut aussi accepter que ça puisse ne pas fonctionner. C’est une question de sensibilité, on peut pas travailler avec tout le monde. Moi j’aime particulièrement travailler en duo, et quand tu tombes sur le bon binôme, tu veux faire des projets avec cette personne toute ta vie ! Avec Emilie, on fonctionne ensemble. Pour l’artwork du disque, c’est elle qui a écrit à la main toutes les typos, et je me suis occupée des dessins, des photos et de la mise en page. Et pour les clips, elle m’a accompagnée en balade. On a des univers complémentaires et on sait allier nos forces ! 

Tu te sens soutenue, en Saône-et-Loire, pour mettre en place des projets ?

C’est drôle, hier on m’a invitée à participer à une table ronde autour des arts visuels dans la région, pour lister les besoins et les manques. Et on a rapidement observé qu’il y avait de grosses lacunes en soutien et en lieux de création et de diffusion, qu’il n’y avait rien en art contemporain à Chalon, que les artistes étaient un peu obligés soit de rentrer dans des cases précises pour être soutenus, soit d’aller voir dans des villes plus grandes ou des régions voisines. Ce qui n’est pas le cas pour les arts vivants, où les projets de danse et arts de la rue de La Méandre sont soutenus par le département, par le CNAREP, et tournent très bien même internationalement. Je trouve que c’est plus simple aujourd’hui de monter un spectacle que de monter une exposition. C’est pour ça que je fais davantage de spectacles dans lesquels je ne peux m’empêcher de glisser des arts visuels du coup…

Anaïs Blanchard

Où se situe l’artiste dans la société aujourd’hui selon toi ? C’est quoi sa place ?

L’artiste est là pour dénoncer, faire rêver, donner à voir et à réfléchir, se mouiller, prendre des risques. Il doit exprimer sa vision du monde. C’est pas rien. Il y a la notion de divertissement d’un côté et celle plus militante ou conceptuelle de l’autre.
Evidemment, le mieux, c’est de ne pas dissocier les deux. J’essaie de créer des choses immersives qui touchent et font voyager le spectateur tout en le faisant réfléchir sur sa propre place dans le monde et en restant accessible à un large public. Ce n’est pas facile. Et puis en tant que femme artiste… Faire sa place, c’est encore plus difficile !
On passe beaucoup de temps à se justifier et à prouver des choses. Et puis il y a plusieurs échelles, plusieurs écoles, plusieurs réseaux, qui ne communiquent pas facilement entre eux, c’est dommage. L’impact serait tellement plus grand si on mutualisait nos forces. 
La place de l’artiste est mouvante, on navigue à vue entre précarité et reconnaissance éphémère, tout est toujours à reconsidérer, rien n’est acquis. Parfois on devient des outils, des passeurs, ça ne me gêne pas.

Quand on était enfants, on était tous des artistes en herbe, on a tous dessiné, chanté et rêvé au monde de demain. Il y a trop de gens qui ont oublié comment ils ont commencé à s’exprimer et à être au monde. Je trouve ça dommage que ça ne soit pas valorisé tout au long du cursus scolaire. Je ne sais pas si je réponds vraiment à la question… 

Anaïs Blanchard

C’est quoi ton actu ? Que nous prépares-tu pour 2020 ?

Pour 2020, on prépare la sortie d’un disque avec mon groupe de musique Alberville. Au sein de La Méandre, on travaille sur un nouveau projet de spectacle/installation immersif pour espaces clos avec Anne-Chloé Jusseau qui pour l’instant se déroule en appartement. Et puis je travaille de mon côté sur un roman graphique, en recherche d’éditeurs 🙂

7 janvier 2020
Jour 31
4 ans tout pile
Un mois tout pile
Maintenant tout pile
Mes montagnes ont pris feu

Je regarde tes montagnes à toi
Si jolies si bien dessinées dans ton livre
Tu manques à ce monde
Mais ce monde part en vrille

Illustration et texte de Anaïs Blanchard

Retrouvez le travail d’Anaïs sur instagram , facebook ou sur son site.

Pour la chanteuse du clip, Émilie Zoé, vous pouvez aussi la retrouver sur facebook par ici ou sur son site !