Le COVID-19 est balaise. Super balaise même.
Parce qu’il nous aura tous mis le nez dans notre caca. Les riches comme les pauvres. Parce qu’il nous aura peut-être pour la première fois depuis longtemps en France, rendus tous spectateurs d’une même horreur. Il nous aura mis face à une menace partagée par tous. C’est pas la même qu’une guerre lointaine qui nous concerne quelques minutes quand on regarde les nouvelles… C’est une pandémie, une menace planétaire. Un truc de science-fiction qui nous rend tout petits, tout fragiles. Il nous aura surtout privés d’un truc super essentiel. Notre capacité à nous rassembler pour faire société dans l’action, pas seulement devant le spectacle de l’actualité ou d’un écran. Pas seulement dans les festivals, les concerts, les cinémas ou les supermarchés. Il est super fort le COVID-19, parce qu’il a cette faculté d’ouvrir nos yeux sur ce qui se passe en dehors de notre nombril. On s’inquiète soudainement du sort des soignants, de l’hôpital français en piteux état. Du droit du travail, du statut des intermittents, des auteurs, des artisans, des grandes difficultés économiques des petites entreprises quand les plus grosses touchent le jackpot en dividendes. On ouvre les yeux sur la délocalisation de la production industrielle en France : quoi ? on n’a pas de masques ? Faut les commander en Chine alors qu’on a fermé en 2018 une usine de fabrication à Plaintel dans les Côtes d’Armor ? Le COVID nous permet même de mater des cartographies de l’impact dépolluant du confinement mondial… Balaise.

Comment se rendre utile ?

En ce moment, moi je suis un peu paumée. Des fois, je suis chez moi, pleine d’énergie et en bonne santé et j’ai envie de me rendre utile parce que je vois bien que dehors c’est le maxi bazar, que les inégalités sociales habituelles sont encore plus creusées. Mais je ne sais pas par où commencer. Et je lis des tonnes d’articles sur le web pour essayer de comprendre ce qui se passe, pour essayer d’identifier là où ça coince. Mais tout ça depuis mon canapé, ou la table de la cuisine.
Quand je redeviens un peu lucide, je sors une heure faire un tour, pour croiser le regard de vrais gens, pour entendre les histoires de vraies voix, pour regarder le vrai monde, pas façon 13 pouces.

J’ai fait ça ce matin. J’ai vu des dames bien habillées prendre leur café en bas de leur appartement, assises par terre, pour prendre l’air. J’ai vu des jeunes qui mettaient de la musique fort pour en faire profiter les voisins. J’ai vu des gens qui distribuaient des courses à d’autres gens. J’ai vu Marie-Christine, ma copine sous tutelle qui essaie de taxer des clopes, même si personne ne lui répond…
Et puis j’ai vu plein de magasins fermés. Des boutiques éteintes. Des vitrines vides, des mannequins à poil, des étagères toutes nues.
Une ville avec plein de murs et plein de vides à l’intérieur. Des courants d’air dans la rue à la place des voitures qui s’engouffrent…
Et pis j’ai vu deux types à la terrasse d’un café-restaurant la porte close.

J’étais surprise et contente, un peu d’interaction sociale ! Je me suis arrêtée pour discuter, en me tenant bien à quelques mètres. Je leur ai demandé ce qu’ils faisaient là, dans leur décor de brasserie au ralenti, les chaises empilées, la machine à café en berne. Et leur réponse m’a permis de comprendre : quand tu sais pas quoi faire pour aider, faut pas chercher trop loin, tu commences par faire le tour de tes voisins, de ta famille, des gens que t’aimes… Au téléphone bien sûr, y’a confinement ! Et pis quand tu fais tes courses ou que tu te balades, en bas de la rue, sur le trottoir d’en face, avec les humains dans un périmètre d’un kilomètre, parce que c’est autorisé en ce moment, ben tu peux tomber sur des occasions de te rendre utile.

La terrasse où j’ai rencontré deux des trois associés de Place 2B
Leur collecte est ouverte tous les jours, de 9h à 11h

La solution de PLACE 2B

Le café en question, c’est Place 2B, place de Beaune à Chalon-sur-Saône.
Ils sont trois associés, Davina, Fabien & Abdel.
Comme tous les restaurateurs, ils ont mis la clé sous la porte pour une période indéterminée. Ils ont fait toutes les demandes d’aides financières possibles pour surfer sur la crise et pour l’instant, ils ont le moral. Mais il s’ennuyaient un peu sans leurs clients…
C’est là, qu’eux aussi ils ont ouvert les yeux.
Comme me l’a confié un des associés : « on a ouvert les yeux sur les gens qui n’ont rien ! Et on a eu l’idée de lancer une collecte alimentaire. Avec les produits qu’on nous dépose, on cuisine, on prépare des plats pour une trentaine de personnes en grande misère, 4 fois par semaine. Comme on pouvait pas faire ça tout seuls, on a demandé de l’aide à l’association Le Pont, pour nous servir de porte-voix, pour faire la distribution. Ils donnent nos plats et ce qu’on a récupéré aux publics qu’ils suivent, 6 familles et des personnes isolées ou sans-abri. »

La collecte alimentaire du jour.

On pense souvent aux commerçants depuis le confinement. On se demande comment ils vont pouvoir pérenniser leur activité avec un énorme manque à gagner. On comprend qu’il faudra les soutenir, consommer local pour pas voir les commerces disparaître les uns après les autres. Pour préserver les emplois. Mais j’avoue que j’en avais pas encore croisés qui m’ont dit qu’en attendant de pouvoir reprendre, ils se mettaient au service des plus faibles.

Une infirmière des urgences à Montceau, avec qui j’échange parfois, m’avait évoqué une forme d’agacement. Elle observait un syndrome poindre depuis le début de la crise sanitaire. Celui des nouveaux héros qui venaient leur distribuer des repas, en soutien aux soignants du front. Elle me racontait qu’elle était touchée bien entendu, que ça faisait du bien, comme les banderoles aux fenêtres, comme les applaudissements quotidiens, qui font même décaler de deux minutes les prises de parole du Président à la télé. Mais que ça l’interrogeait quand même, quand les généreux donateurs de pizzas ou autres petits plats préparés avec amour insistaient lourdement pour être pris en photo avec les blouses blanches, pour pouvoir annoncer leur geste sur les réseaux sociaux.
C’est pas méchant, une petite photo pour dire merci. Mais tu te sens un peu pris en otage, redevable, quand à l’origine on t’explique que c’est un acte altruiste, de solidarité avec ceux qui sauvent des vies. Et puis t’arrives forcément à douter : où commence et finit la générosité ? Où commence et finit le plan marketing ?…

Bref, je me suis souvenue de ce que cette infirmière m’avait confié. Alors j’ai demandé aux deux associés du café-restaurant, s’ils faisaient ça pour leur image, pour préparer la suite. Ils m’ont répondu : « bien sûr qu’on pense à la visibilité du café. Mais en réalité on n’est pas inquiet. On ne sait pas quand on ré-ouvrira, dans un mois, dans deux mois, l’année prochaine. Mais on sait que ça reprendra. Les clients reviendront, qu’on soit là ou pas sur les réseaux sociaux. En attendant, faire de la pub ça sert à rien. Autant se rendre utiles pour ceux qui en ont besoin maintenant. Et puis tu sais, même si notre appel aux dons a été vu deux milles fois sur Facebook, il n’y a pas tant de gens qui passent déposer des courses… »

A ce moment là, y a un homme qui est arrivé, avec deux sacs de commissions. Il ne venait pas de très loin, Monoprix est juste en face, faut faire à peine 50 mètres pour arriver à Place 2B. Quand je lui ai demandé pourquoi il a tenu à faire ce don, il m’a répondu : « et pourquoi pas ? ».

Il m’a expliqué que de son côté il participe à des initiatives similaires par le biais d’écoles, en soutien aux élèves allophones.
Je lui pose alors la question : « c’est toujours les mêmes qui donnent alors ? ». Et il me dit : « peut-être, sûrement. C’est un peu suivant notre vécu, on nous a donné à nous, donc on redonne. J’ai toujours été dans le partage. C’est naturel. C’est vrai que les Français donnent peu en général, mais ils sont aussi tout le temps sollicités ou culpabilisés et c’est difficile de faire un geste citoyen tout seul. Les petites initiatives locales comme celles-là, comme la collecte à Place 2B, ça touche un petit cercle, ça permet aux gens d’être libres et non culpabilisés. De faire un petit don même une fois ». Et un des associés du commerce de rajouter : « oui, nous on se dit aussi que c’est une solution. Qu’il y a une autre manière de faire, un autre type de commerce possible. C’est pas pour se mettre en avant, c’est pas le but, c’est parce qu’on croit que ça peut marcher. »

Là, je suis épatée.
Et si comme le nom du bistrot l’indique, c’était là que ça se passait. The place to be. Si c’était là que des solutions créatives et concrètes pouvaient être initiées, entre deux trois personnes qui discutent à la terrasse d’un café fermé… Et s’ils lançaient une mode ? Une tendance contre l’individualisme, un contre-courant pour arrêter de penser qu’à sa gueule et à son propre estomac. Ce serait comment un village, une ville, une société entière où les cafés, les baguettes et les repas suspendus seraient la norme ?

Cafés et baguettes suspendus

Les cafés suspendus ou en attente ça vous parle ?
Le « caffè sospeso« , en italien, c’est une tradition de solidarité envers les plus pauvres, pratiquée dans les bars napolitains. Elle est née dans un café de Naples, le Gambrinus au milieu du vingtième siècle. Même qu’à l’époque y avait Oscar Wilde qui y trainait, Ernest Hemingway, Matilde Serao, Sartre…
Elle consiste à commander un café et en payer deux, un pour soi et un autre pour un client démuni qui en fera la demande. Cette tradition s’est importée en France grâce au Mouvement des indignés en début d’année 2013. Depuis, des groupes locaux se sont organisés, notamment sur les réseaux sociaux et quelques bars et cafés français ont adopté cette tradition qui s’est étendue aussi aux baguettes de pain.
Comme dirait Wikipédia, le café suspendu représente un petit geste de partage de son quotidien, demandant peu d’effort et directement versé à quelqu’un d’autre. Les personnes qui offrent et reçoivent sont des inconnus qui pratiquent cette générosité ouverte. Tout le monde peut recevoir comme offrir un café, c’est un partage ouvert à tous.

La banda degli onesti de Camillo Mastrocinque – 1956

Apparemment ça prend en France, les gens commencent à voir de quoi il s’agit. Même si le français ou la française méfiant·e critique l’impossibilité de savoir si le·la patron·ne du troquet reverse bien la monnaie confiée en servant des cafés. Comme il·elle préfère donner un sandwich au SDF pour être certain·e qu’il ira pas s’acheter une binouze dès qu’il ou elle aura le dos tourné. Nan mais qu’est-ce que ça peut bien leur foutre ?
Il y a même des initiatives dérivées qui ont vu le jour, comme celle des Frigos Solidaires.
On avait fait un article sur ODIL pour relayer la volonté de lycéens d’installer un réfrigérateur à disposition, à l’extérieur d’un commerce. Un frigo à remplir ou bien pour se servir. Le commerçant et/ou restaurateur partenaire peut y déposer tous ses invendus de la journée et les passants et habitants du quartiers peuvent aussi y placer ce qu’ils s’apprêtaient à gaspiller. 
Il y en a déjà une cinquantaine installés en France et plusieurs cagnottes sont en cours. Mais la cagnotte des lycéens chalonnais n’avait pas fait des émules, et à priori le Frigo n’a jamais été installé.

Le principe proposé par Place 2B n’est pas très éloigné finalement. Les gens déposent, l’équipe cuisine, d’autres distribuent.
On pourrait dire qu’ils préparent des repas suspendus. Des repas en attente. Peut-être que si ça fonctionne en période de confinement, ils pourraient avoir envie de continuer ? Peut-être qu’une contamination à grande échelle soufflerait l’idée à d’autres restaurateurs, d’autres commerçants… Et puis si tout le monde prépare deux trois repas supplémentaires, ou s’organise pour moins gaspiller les restes, ça couterait pas beaucoup d’efforts à chacun ?
C’est comme quand tu tiens un sac de courses à deux, en s’occupant chacun d’une poignée, le poids du sac parait moins lourd…

En plus de la collecte alimentaire, Place 2B a lancé aussi une cagnotte en ligne, pour pouvoir faire des courses, pour acheter des barquettes individuelles pour la livraison des repas et tout ce qui peut être utile à la cuisine. Tout ce qui ne sera pas utilisé sera reversé à l’association Le Pont. A ce jour, 210 euros ont été collectés. C’est pas énorme, mais il parait que les petits ruisseaux font les grandes rivières… D’ailleurs si vous avez quelques euros qui trainent, c’est par ici que ça se passe : CAGNOTTE LEETCHI .

J’ai la chance de pouvoir me nourrir correctement chaque jour, donc ce don est une évidence pour moi. Courage à tous.

Le 17 avril 2020 – Message laissé par une donatrice sur la page de la cagnotte Leetchi
Préparation des plats suspendus à Place 2B, mais ils ne font pas que des pâtes hein. J’ai entendu parlé d’un couscous. Royal.

Au fil de la conversation, l’un des associés de Place 2B m’a aussi confié, un peu écoeuré, qu’ils avaient tenté de collaborer avec les réseaux de grande distribution localement. Bon c’est pas son job, donc il n’a pas vraiment les contacts et il ne sait pas forcément qu’elle est la marche à suivre. Il était content parce qu’une grande surface avait répondu présente à l’appel, mais ça n’avait pas abouti. Peut-être une autre fois, pour d’autres types de produits. Parce que ça le fout en boule quand même que pour une histoire de camion frigo manquant, les aliments finissent par être détruits.
Du coup on a parlé du gaspillage alimentaire, des invendus… Et il m’a semblé que depuis peu la loi française avait changé et que les grandes surfaces étaient tenues désormais à des règles de non-gaspillages. J’ai voulu vérifier.

Que dit la loi ?  

En allant sur le site du Ministère de la transition écologique et solidaire, j’ai trouvé un article datant de Janvier 2020.
Voilà ce que ça disait : En France, les pertes et gaspillages alimentaires représentent 10 millions de tonnes de produits par an, soit une valeur commerciale estimée à 16 milliards d’euros. Pour tendre vers une réduction du gaspillage alimentaire de 50 % (par rapport à son niveau de 2015) dans les domaines de la distribution alimentaire et de la restauration collective d’ici 2025 et de 50 % (par rapport à son niveau de 2015) dans les domaines de la consommation, de la production, de la transformation et de la restauration commerciale d’ici 2030, une loi nouvelle a été promulguée et complète les dispositions de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte relatives au gaspillage alimentaire. Il s’agit de la loi n° 2016-138 du 11/02/2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, dite loi Garot.

Ces deux mesures principales concernent les distributeurs de produits alimentaires :

  • l’obligation, pour les magasins alimentaires de plus de 400 m2 de proposer une convention de don à des associations pour la reprise de leurs invendus alimentaires encore consommables ;
  • l’interdiction, pour les distributeurs alimentaires, de rendre impropres à la consommation des invendus encore consommables.

De la théorie à la réalité

Bon ça c’est la loi. Mais en pratique il se passe quoi ?
Ce matin, un des associés du café-restaurant m’a donc raconté qu’une grande surface locale avait proposé aux associations qui réalisent des distributions alimentaires, une palette de produits frais dont la date de péremption était juste dépassée, mais qui n’étaient pas impropres à la consommation.

Premier problème : un, la date de consommation préférable est dépassée. Même si on sait tous qu’avec la quantité d’additifs dont les yaourts sont bourrés on peut les manger bien après les petits chiffres sur l’opercule, la distribution de ces denrées engage la responsabilité de ceux qui vont les distribuer, en cas de pépin.
Je ne crois pas qu’il y ait trop de risques à avaler un Danone passé de quelques jours, mais je comprends que les associations qui bataillent pour remplir l’estomac de ceux qui ont faim n’aient pas envie de se mettre en péril. Ils n’ont pas envie non plus d’empoisonner les gens ou de leur refiler des trucs indignes à bouffer et c’est plutôt bon signe.
Premier problème donc, les dons alimentaires ne se font pas en anticipant la date de péremption, mais en suivant la logique commerciale : « On ne peut plus les vendre, donc on peut les donner aux pauvres qui ont pas les moyens de se les payer ».
Soit, un commerce c’est un commerce, ça travaille pas à fonds perdus. Mais ça fait des bonnes marges quand même… notamment sur le dos des petits producteurs… euh, ça c’est un autre sujet…
Donc les magasins alimentaires vendent le plus longtemps possible, parfois à prix cassé ces produits. Mais s’ils ne sont pas vendus, poubelle, pour mettre personne en danger.
On se poserait pas la question des limites de cette société hygiéniste ? Des interdictions de cuisiner un gâteau d’anniversaire à la maison pour que les mômes fassent un goûter avec leur potes à l’école ? D’une société où mettre des normes à tour de bras pour « protéger » les gens en arrive à jeter de la nourriture quand certains peinent à faire 3 repas par jour ? On n’est pas au point hein, parce que lutter contre le gaspillage et nourrir tout le monde, il me semble que ça devrait être des paramètres de la même équation, pas deux énoncés distincts.

On revient à l’histoire de la palette plus haut.
Deuxième problème : lors de la proposition de don, ni l’association ni les gentils citoyens n’avaient de camion frigorifique pour transporter la palette avant distribution. Bon, là ça m’énerve. Les yaourts sont périmés mais les gueux peuvent encore les manger, de toute façon on ne peut plus les vendre. Mais par contre faut pas rompre la chaîne du froid. Faut aller de frigo à frigo en passant par la case transport entre -40° et + 20°… Mon coffre de bagnole est trop petit pour faire entrer une palette mais je pense qu’il n’y fait pas 20° aujourd’hui, il caille un peu…
Donc l’association ou les bons samaritains qui se bougent les miches pour trouver des solutions n’ont pas de camion réfrigéré. Résultat, la palette part à la benne. C’est un truc de dingue ! La loi dit : faut pas « rendre impropres à la consommation des invendus encore consommables« . Traduction : « si ça se mange encore, faut pas y détruire« , enfin c’est ce que je comprends moi. Mais la loi ne dit pas, « faut trouver des moyens pour faire les dons en suivant le protocole de la chaîne du froid« . Elle ne dit pas non plus qu’au-delà d’une convention de don avec les associations, faudrait pouvoir les équiper d’un moyen de transport ou de stockage en amont de la distribution. Il y a des subventions pour ça, pour équiper les assos de gros réfrigérateurs ou de camions à glace ? Je ne crois pas.
Alors la réduction du gaspillage, on n’y est pas encore… Malgré la bonne volonté des grandes surfaces, des acteurs locaux et des citoyens. C’est le serpent qui se mord la queue. Et il y en a qui ont toujours faim. Et y a des palettes de bouffe qui continuent de finir à la poubelle…

Ah oui, mais dans la loi, c’est écrit aussi qu’il y a une « hiérarchie des actions à mener en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire. Elle donne la priorité à la prévention, puis aux débouchés en alimentation humaine par le don ou la transformation. Viennent ensuite la valorisation en alimentation animale et énergétique. La destruction est envisagée en dernier recours.« 
Bon, on peut pas leur en vouloir alors, ils ont suivi la loi. D’abord la prévention, ensuite la proposition, enfin la destruction…

Mon pote photographe l’autre jour me disait, ça suffit pas de s’indigner. Faut passer à l’action, faut s’engager.
Mais c’est un peu désespérant quand même. Parce qu’à force d’absurdité, tu sais plus où donner de la tête, ça file le vertige.
Visiblement faut y aller tout doucement, même si la faim est une urgence. Faut pas trop brusquer le système. Et puis c’est un peu utopiste de vouloir nourrir tout le monde, faut l’avouer, même au 21e siècle, même en France.
Et les pauvres c’est pas un peu de leur faute s’ils sont pauvres ?

Marre des pauvres !

Suggestion d’écoute pour lire la fin de cet article.

Ah ! Je l’entends. Oui, ça y est je l’entends la critique frustrée et envieuse : « Y’en a marre de ces assisté.es, ils ont qu’à traverser la rue pour trouver un boulot, ils pourront remplir leurs assiettes ! ». Enfin je l’ai entendue depuis ma fenêtre, quand une femme se plaignait à la boulangerie de tous ces pauvres qui nous enlèvent le pain de la bouche, pour qui faut qu’on se serre la ceinture et qu’on banque.

Ben oui évidemment. On peut tout à fait mettre tout le monde dans le même sac à merde, le secouer et voir s’il en sort quelque chose qui sent la rose. On peut tout à fait ne pas s’intéresser au parcours individuel, relationnel, culturel de chacune et chacun, ce chemin de vie qui les a amenés à vivre dans un HLM plutôt qu’une villa en bord de mer, voire même à vivre dans la rue. On peut tout à fait blâmer ces imbéciles qui pondent plein d’enfants pour pouvoir vivre aux crochets des allocations d’Etat, ou voire même ceux qui choisissent de ne pas avoir de toit sur la tête et de faire la manche. Et je ne parle même pas de ceux qui franchissent les frontières illégalement pour venir nous piquer le boulot qu’on n’a pas envie de faire dans les secteurs en tension.
Et on pourrait faire confiance au ministre de l’Éducation Nationale aussi, il l’a dit l’autre jour, on va renvoyer les enfants à l’école en mai parce que certains ne mangent pas à leur faim depuis que les cantines ont fermé… Comme ça, les procrastinateurs, hop, plus d’excuse, ils vont pouvoir aller au charbon et leurs rejetons seront repus.
On pourrait encore se dire qu’il y en a marre de payer pour les fainéants, pour ceux qui n’endossent pas le costume du self-made man entrepreneur ou de la self-made woman héroïne qui est sorti.e de la misère à force de coups de pioche, de sueur et de volonté. Ben oui, c’est bien connu, « quand on veut on peut » et peu importe qui on est, d’où on vient, ce qui nous constitue.
On peut compter enfin sur le même Etat qui prend l’argent des bonnes gens, travailleurs et travailleuses honnêtes pour le distribuer au fainéant·es, pour ne pas chercher des solutions du côté de ceux qui font de l’argent grâce à l’argent, qui se gavent sur le dos de la société entière sans rougir de leurs bénéfices fructifiants.
Évidemment, on peut se dire tout ça.
Mais on peut commencer à penser autrement aussi. Essayer. En dehors de ses privilèges, en dehors de son confort. On peut arrêter d’avoir peur, des autres, de sa propre vulnérabilité. On peut réfléchir au revenu universel qui mettrait peut-être tout le monde d’accord, qui donnerait à chacun la même base financière, qui permettrait aux plus altruistes de construire des alternatives pour réduire les injustices sociales. Qui permettrait aux cigales de continuer à chanter pour encourager les fourmis et proposer un environnement joyeux. On pourrait prendre le temps d’étudier les systèmes imaginés dans les ZAD. Penser à donner du temps à ceux qui veulent le prendre pour faire un jardin et pour nourrir leur famille, leurs potes et leurs voisins. Je divague…

Pour être pragmatique, on peut tout à fait penser qu’on est malheureux·se et lésé·e, qu’on se retrouve à payer pour toute la société alors qu’on se bat pour survivre soit même. Et on peut même mettre un paquet de pâtes bon marché dans un panier de collecte alimentaire à Place 2B ou ailleurs. Ce sera toujours un paquet qu’on ne volera pas de notre assiette.

« Pourquoi vous faites un don alimentaire aujourd’hui ?
– Parce que j’ai assez. »

21.04.20 – Une donatrice anonyme qui dépose un sac de courses à Place 2B
Un des associés de Place 2B et les salariés de l’association Le Pont.
J’ai décidé qu’eux ils méritaient bien leur petite photo

Appel aux dons pour aide aux plus démunis
Nous avons besoin de denrées alimentaires pour pouvoir cuisiner des repas aux personnes sans ressources de Chalon, en collaboration avec l’association Le Pont.

Merci de déposer vos denrées à notre permanence tous les matins de 9h à 11h, à la Brasserie Place 2B, 25 place de Beaune, Chalon-sur-Saône.
Nous avons besoin de riz, pâtes, boites de conserve, légumes, yaourts, boissons non alcoolisées, sauces, et tout ce qui peut être utilisé pour cuisiner.
De plus, nous avons créé un lien pour les dons en ligne : https://www.leetchi.com/c/appelle-aux-dons-chalon-sans-abris.
Les dons seront utilisés pour acheter le matériel et les denrées nécessaires pour préparer les repas, et tout excédent sera reversé à l’association Le Pont.
Merci infiniment pour votre support car cette partie de la société a été oubliée et a grandement besoin de notre solidarité à tous.
À bientôt,

L’équipe de Place 2B, DAVINA, Fabien & Abdel


PS : la recherche d’un camion frigorifique a été lancée. Une piste a été soulevée… À suivre.

Pour faire un don à la collecte en ligne de Place 2 B c’est ici : CAGNOTTE LEETCHI .
Pour faire un don alimentaire, il suffit de passer au 25 Place de Beaune, tous les matins de 9h à 11h.
Pour prendre contact avec l’équipe ou suivre la page Facebook de Place 2B, c’est là : https://www.facebook.com/place2Bchalon/

Illustration de l’article :
Dinner in the Sky est une expérience gastronomique qui permet d’accueillir 22 invités autour d’une table dans le ciel.

Si on arrive à faire s’envoyer en l’air les papilles des plus riches, on devrait arriver à faire manger des pâtes quotidiennement aux plus pauvres, en restant terre-à-terre.

Laëtitia Déchambenoit
21 avril 2020