Je me demande comment cela se passe sur les trottoirs des villes, j’imagine les rues nues, comme abandonnées et tristes. J’essaie de comparer la beauté calme des champs environnants à la désolation des fourmilières humaines lésées de leurs habitants. Peut-on sentir le poids de la vie cachée derrière les murs ? Peut-on percevoir la vibration de tous ses corps privés d’extérieur ? La ville doit apparaître comme une scène privée de ses acteurs, un lieu désolé où ne traînent que ceux qui n’ont nulle part où aller. J’espère que les animaux en profitent pour investir l’espace, j’espère que l’herbe commence à pousser dans les failles des routes.

Ecchymoses du ciel, lueur sanguine des champs de blé rasésune plume choit, un scion fier, une meute de moineaux s’exercent en un ballet de feuilles mortes animées par des ailes de fuméepiaillements de piafs querelleurs, bande de bandits des airs voltige aviaire, fièvre d’allégresse

Ecchymose du ciel, pavé brûlant des langueurs du jourun million de pas ont effleuré la pierreles fleurs de poussières chatouillent le museau des passants,des errants de la gare dans leur élans hagardsune nuée de moineaux picore les miettes du tempsse chamaille dans les flaques de lumièreleurs plumes photophores dévorent les dernières lueurs un claquement sec et les voilà évanouis derrière un lampadaire grésillant

Noir et bleu le ciel s’ajoure d’accrocs de lumièredes flèches zigzaguantes ombrent de leurs ailes de peau tenduela couleur de la nueles chouettes hulotent, les renards glapissentles arbres se culottent, les songes surgissentla terre soupire puis se couvre de larmes de roséeles pierres s’étirent et se refont une beauté

Gris et orange, les lumières fixent les passantsdes silhouettes dégrossies fuient l’arrivée de la lunedes bulles d’intimités s’illuminent derrière les écransles isolés du soir s’en vont pisser leur rancuneles trottoirs se lamentent et ouvrent leurs bras de ciment les égouts exhalent leur éructations nocturnes et se lève le peuple des ombres, les chevaliers errants du béton étonnés que la cité perdure et que les grandes plaines reculent ils arpentent les pistes des chats, ils flairent les restes abscons ils entendent le dehors qui appelle, les ailleurs qui hululent


La Négresse à Cheval