Thibaut Sève est réalisateur de documentaires et originaire de Mâcon (71).
Dans son dernier film, il fait le portrait de Christelle, biographe de fin de vie.
Un métier peu connu qui pose des questions universelles. Comment créer du lien juste avant la disparition ? Que souhaite-t-on transmettre à ceux qui restent ?
Avec beaucoup de pudeur et de bienveillance, le film nous embarque dans une aventure qui nous concerne tous, celle de la vie, du passage et des mots qu’on dépose contre l’oubli.
Thibaut, tu es réalisateur de documentaire. Comment en es-tu arrivé là ?
Comme tout le monde, à 17 ans, je ne savais pas encore que faire de ma vie. J’hésitais entre ingénieur du son sur les concerts et garde forestier !
Et en option audiovisuel au lycée à Mâcon, j’ai découvert l’univers de la vidéo en réalisant un mini-documentaire sur William Sheller avec mon meilleur ami le compositeur Julien Thiault. J’ai eu 18 au BAC à cette option (ce qui ne m’arrivait pas souvent) et ce qui m’a encouragé à faire un BTS audiovisuel.
C’est la première fois que tu réalises un film portrait d’une femme qui vit dans ta région d’origine ?
Mon premier documentaire, il y a 7 ans, se focalisait aussi sur ce territoire que je connais, dans Embauche moi si tu peux !
J’ai dressé le portrait de plusieurs jeunes chômeurs mâconnais en quête de travail et de sens.
Pionnière, Christelle Cuinet se bat pour faire exister le métier de biographe de fin de vie : elle enregistre la parole de personnes proches de la fin, et en fait un livre qui sera offert à leurs proches. Une trace éternelle de ces vies.
Synopsis du film A la vie, à la mort !
Elle va là où personne ne va. A cet endroit où la mort prochaine est inévitable mais où la transmission est encore possible.
Entre les services de soins palliatifs et le domicile des malades, le film suit Christelle soulevant la question de ce que l’on souhaite transmettre à ceux qui restent.
Le temps du livre et l’approche particulièrement bienveillante de la biographe, permettent à ces personnes de se raconter. Entre anecdotes, secrets et conseils, tels les miroirs de ces trajectoires si singulières, elles se sentent écoutées à un moment où les circonstances de leurs vies font émerger un fort besoin de transmission, de bilan.
Parler de la mort, c’est relativement tabou dans notre société. Qu’est-ce qui t’as motivé à révéler des aspects de ce sujet difficile ?
Je me souviens avoir été happé par ce sujet en visionnant à la télé des documentaires sur les rituels de mort autour du globe. Comprendre que d’autres sociétés traitent très différemment la mort que nous le faisons m’a interpelé. Et dans le travail de Christelle Cuinet, la biographe de fin de vie de mon documentaire, j’ai perçu une évolution de notre rapport à la mort dans son envie de rendre utile les derniers moments de chaque personne, en leur faisant raconter leur vie, toute simple toute belle.
Comment fait-on pour montrer la mort, la maladie, la douleur sans tomber dans le pathétique ou le sensationnalisme ?
Avec le chef opérateur Julien Gidoin, on a beaucoup parlé avant le tournage, on s’est montré des films, des documentaires. Ce cheminement nous a amenés à filmer les séances entre le biographe et les personnes en fin de vie de loin, en plans larges et fixes. C’est un format Scope (comme dans les western) qui permettait de se focaliser sur leurs regards qui s’échangent. En prenant avec mon équipe ce temps de réflexion, j’ai vraiment eu l’impression qu’on se posait la bonne question, qui souvent par faute de temps est éludée : où met-on la caméra et pourquoi ?
La musique va aussi dans ce sens, et il faut le dire j’en suis très fier. La bande originale a été composée à la guitare par mon chanteur préféré depuis mes 18 ans : Alexandre Varlet. Je vous conseille d’aller TOUT écouter de lui c’est un génie. Pour le documentaire il a composé de la musique ouatée, comme un coussin qui réconforte après une rude journée.
Tu peux nous expliquer le choix du titre de ce documentaire ?
J’ai essayé au moins dix titres sur mes amis et collègues : Le point final par exemple. Et puis j’ai décidé d’être frontal et d’écrire le mot « mort ».
Pour l’adoucir j’ai utilisé cette expression positive « à la vie, à la mort » qui fait penser au travail de Christelle : ces deux personnes ne se connaissent pas et pourtant elles commencent sous nos yeux une belle aventure collective. Et encore une fois pour rendre ce titre plus accueillant, avec le graphiste Guillaume Berthillier, on a inversé l’expression pour que le mot « vie » finisse le titre et reste en tête : A la mort, à la vie !
Le métier de Christelle est méconnu. Elle s’est reconnue dans le portrait que tu as fait d’elle ? Dans celui de la profession qu’elle s’est choisie ?
Le documentaire devient un bon outil pour présenter son métier à ses interlocuteurs donc oui, je pense qu’elle s’y retrouve.
Est ce que ton film participe de cette opération de libération de la parole ? De ce besoin de transmission que Christelle a fait émerger ?
Moi en le faisant, je me suis dit que je voulais le livre de mes proches, ceux qui sont encore là. Les retours que j’ai des téléspectateurs vont dans ce sens : ce livre peut faire du bien à tous. Allons-y, lançons-nous : écrivons la biographie de toutes les vies !
On vit de plus en plus longtemps, mais on se parle de moins en moins ? C’est plus difficile de transmettre aujourd’hui nos récits de vie de génération en génération ?
Je crois que les générations se parlent beaucoup plus que dans le passé, que les grands-parents racontent des anecdotes. Et je l’ai bien vu en filmant, dès qu’on ouvre la boite de Pandore (la parole), elle ne s’arrête plus.
Quelles sont les actus du film ? Où peut-on le voir ?
Après une dizaine de diffusions en Région Bourgogne Franche Comté, le documentaire est multi-diffusé sur LCP, une des seules chaines qui sait mettre les documentaires en avant.
Il est surtout libre à tout moment en replay alors profitez-en !
Et tes prochains projets ?
Je souhaite développer ma page Facebook LE PLAN DOCU qui est un service gratuit et légal de documentaires à voir en replay.
En ce moment je suis en phase d’écriture de plusieurs projets de société. Mais il faut s’armer de patience, par exemple A la mort, à la vie, j’ai commencé à l’écrire en 2015 et il a été diffusé en 2019…
C’est un métier d’artisan qui demande du temps.