Depuis le 17 mars et l’annonce d’un confinement obligatoire, nous expérimentons toutes et tous l’isolement, la privation de certaines libertés. Et nous tentons de comprendre cette étrange période par les moyens d’information dont nous disposons.
A l’annonce de la suppression des parloirs dans toutes les prisons de France, des mouvements collectifs sont apparus. Plus moyen de savoir ce qui se passe au dedans des murs, plus moyen de faire savoir à ceux qui sont dedans ce qui se passe au dehors. Le point de passage d’un monde à l’autre est devenu totalement hermétique.
Aucun de nous, ni en prison, ni dehors, n’avons été condamnés à mort.
Pourquoi nos vies vaudraient-elle plus cher que celle d’un détenu, que celle d’un étranger sans papier, que celle d’un vieux, que celle d’un enfant placé, que celle de quelqu’un qui dort dans la rue ?
Pour soutenir les prisonniers de Varennes et d’ailleurs, ODIL relaie les initiatives de l’Envolée.
Mardi 17 mars et samedi 21 mars, des mouvements collectifs ont eu lieu à la prison de Varennes-Le-Grand.
Des vidéos fuitent, des infos sortent, coûte que coûte. Malgré les interdictions et les brimades pour obliger au silence.
Deux mises en garde à vue et des comparutions immédiates de participants.
Pas facile d’en savoir plus car plus rien ne sort de la prison.
Les revendications actuelles des prisonniers ne s’accommodent plus de s’la fermer, ni d’avoir l’espoir d’arriver jusqu’à la remise de peine. Parce que, depuis le début du confinement, si les privations de libertés sont importantes pour les humains dehors, les privations de libertés sont totales pour les prisonniers.
On peut, nous autres, imaginer désormais ce que veut dire : « plus rien ne sort de cette prison », « l’ensemble des activités sont suspendues », « les cantines sont arrêtées », « les parloirs sont interdits ». Voir ses proches est l’ultime liberté en situation carcérale. Bientôt les promenades poseront problème, c’est déjà le cas. On regarde avec leurs yeux et on n’a pas de mal à imaginer l’isolement total, la prostration forcée, livrés à la maladie mortelle.
Il y a quelques jours, on comptait dix-neuf cas de prisonniers contaminés, un mort, quatre cents prisonniers et 1270 agents pénitentiaires avec des symptômes de Covid 19, selon plusieurs syndicats professionnels.
Des appels au secours nous parviennent via des sites comme L’Envolée, qui a mis en place une émission radiophonique quotidienne dans cette situation d’urgence, pour garder le contact autant que possible avec l’intérieur des prisons.
Les témoignages disent la peur de se retrouver malade et seul enfermé dans sa cellule, quand les matons ne seront plus assez nombreux et la contamination générale.
L’Envolée
L’émission de radio devient quotidienne depuis le confinement pour soutenir les détenus et leur famille et garder le plus possible le contact avec l’intérieur des prisons car plus rien ne sort depuis l’interdiction des parloirs.
https://lenvolee.net/category/emissions-de-radio/
Les prisonniers prennent la parole
Jeudi 26 mars
Un jeune d’un quartier de Chalon-sur-Saône a été incarcéré pour huit mois, comparution immédiate, pour outrage à agent pendant l’état d’urgence sanitaire. Faut croire qu’y a encore de la place en prison…
Les normes et la réalité
A l’extérieur, on peut désormais mieux imaginer ce que veut dire être confiner dans une pièce de 11 m2 quand on a la chance d’être seul, mais c’est rare, plutôt 12 à 14 m2 à deux, 15 à 19 m2 à trois et… jusqu’à six ou sept et on a vu.
Samedi 27 mars
Depuis le commencement du coronavirus.
Y’a aucune mesure de sécurité qui est prise, plusieurs cas avérés par un surveillant en scrèd, ils les isolent font comme si de rien n’était, ils les cachent. On ne nous dit rien. Les mecs, ils les isolent et après, on ne les voit plus. Ils ont été testés mais on ne nous a pas dit le résultat. Ils les changent d’étage.La moitié des surveillants n’utilise pas de gants, et les masques sont très peu utilisés, on dirait que c’est laissé au bon vouloir de chacun. Ils ne respectent pas le mètre de distance.
La seule activité autorisée c’est le sport, par groupe de 20, uniquement dehors sur le terrain de foot. Ils ont envoyé un malade avec nous au sport et après il l’ont confiné. Franchement, si on est malade, c’est mieux de ne pas le dire car ils ne veulent pas nous aider. Ils vont nous isoler c’est tout. De toute façon on n’a aucune info. Il y a eu un blocage il y a une semaine, ça a duré un moment. Ils ont fait venir l’ERIS. Les gars sont passés en comparution immédiate, ils ont pris 6 et 9 mois de peine.
Ils ne nettoient pas les coursives. Ils se protègent eux, on ne les voit pas trop. Il n’y a plus de fouilles au corps. On a un peu la trouille, on voit à la télé ce qui se passe dehors.
On a du savon, mais on a un problème de cantine, là par exemple j’ai pas eu le pak de bouteilles d’eau que j’avais demandé en début de semaine. Si on n’a plus d’eau, qu’on peut plus avoir de savon, on fait comment ? Aucune précaution n’est prise pour la nourriture, ceux qui servent la gamelle, ils n’ont pas de masque. Nous on ne mange plus la gamelle du coup. On a des réserves, mais ça va pas durer éternellement si y’a plus de cantine. Plus de parloir du tout depuis le début du confinement.
Ça va pour l’instant y’a encore du cannabis, mais d’ici une semaine ça va être le bordel. Ils nous ont donné des petits cadeaux pour nous calmer. Vingt balles par ci, vingt balles par là, ils nous achètent comme des p’tits ados.
Slim, à la prison de Varennes-Le-Grand
Contamination
Même situation à Seysses, Uzerches, Béziers, Saint-Etienne, Nanterre, Fleury-Mérogis, Perpignan, Nancy, Montauban, Metz, Grâces, Epinal, Douais, Angers, Grenoble, Le Mans, Marseille, Carcassonne, Meaux, Nantes, Nice… en Martinique, rappelant les émeutes dans les prisons italiennes il y a quelques semaines.
Quasiment un quart des prisons de France sont révoltées de leurs conditions d’abandon pendant la pandémie.
Depuis 11 jours, il y a eu plus de mutineries et de grèves de la faim en France dans les centres de détention, les maisons d’arrêt et les centres de rétention administrative pour étrangers qu’on en n’a jamais vues sur une si courte période.
Plus de comparutions immédiates et des peines effroyables pour les mutins.
Ferme-là et ça ira
On entend cet argument pour se dédouaner de la situation carcérale dans notre pays : « ils ont tout le confort, ils ont même la télé ». Alors, parlons-en pour une fois.
On est des millions à l’avoir senti ces derniers jours, dans une situation de privation de liberté, quand nos corps sont contraints à ne pas bouger, la télé, les réseaux sociaux, le téléphone, sont ce qui nous permet de ne pas devenir fous, jusqu’à l’indigestion : BFMTV 24h/24h, séries complotistes, scènes de sexe médiocres et humour à la con… ça va mieux ?
Non pas vraiment. La télé en prison, c’est comme le cannabis et les clopes, ça ne sert pas à aller mieux, c’est pour acheter le silence des détenus et qu’ils restent calmes. La ministre promet des remises de peine pour ceux qui se tiennent tranquilles, annonce des libérations pour temporiser : des mesures cosmétiques face à l’ampleur d’un potentiel désastre.
Comme pour les hôpitaux sabordés, les quartiers populaires violentés, comment a t-on pu laisser se dégrader les conditions de vie de milliers de personnes, sans réagir ? Depuis une semaine, on va en prison plus vite que jamais…
Samedi 28 mars
« On sait pas quoi faire, on est perdu, y’a beaucoup de détenus qui commencent à penser au suicide. Aidez-nous s’il vous plaît, Aidez-nous s’il vous plaît. »
La peur suinte sur tous les murs. Car si eux sont enfermés depuis plus longtemps que l’arrivée du virus, le personnel des prisons, lui, va et vient chaque jour, fouille au corps, distribue le pain, sans masque ni gant. A vrai dire, il n’y en a déjà pas assez pour les hôpitaux, des masques, alors de là à dire qu’on en enverra en prison….
Dans plusieurs centres de détention de France, les détenus ne disposent pas de savon dans leur cellule, ils racontent les premiers malades qui prennent leur douche au même endroit qu’eux, sans désinfection.
Réveil la nuit pour faire sortir quelqu’un de sa cellule avec un masque, pas d’explication, rumeurs. Pas d’information. Peur.
L’association des juges d’application des peines, dans un communiqué du 17 mars, a alerté sur les conséquences désastreuses d’une pandémie dans les établissements pénitentiaires « en vase clos ».
Rappelons que le 30 janvier 2019, la Cours Européenne des Droits de l’Homme a condamné la France pour absence de conditions de détention décente.
Légitime violence et souci des autres
Quelle auto-défense face à la maladie et face à la répression, quand l’état ne nous protège pas alors qu’on est sous sa responsabilité et qu’il a toute autorité sur nous ?
Quand la télé et les petits cadeaux pour ado ne suffiront plus à calmer la terreur de mourir, pour la masse des détenus confinés, quand le sentiment d’abandon sera total et toute alternative mise en échec. Alors il ne restera que la possibilité de se sauver par soi-même, en légitime défense contre le système carcéral, par une violence de groupe et une politique de la rage.
Elsa Dorlin, Se défendre, une philosophie de la violence Podcast audio, lecture d’extraits : https://bit.ly/2UuJcVn
Que se passe-t-il pour les corps subalternes dont on organise l’impossibilité de se défendre ?
Cette lecture d’extraits du livre nous fait entrer de manière accessible dans la pensée philosophique de la violence.
Le système carcéral porte en lui son échec depuis le début, qu’on écoute les intellectuels (regardez la discussion sur la prison aujourd’hui entre des philosophes et Pierre Jox à partir de la pensée de Michel Foucault), ou les prisonniers de longue peine qui témoignent de l’incurie de cette logique de rédemption (écouter l’émission de radio de L’actualité des luttes sur la vie de Thierry Chatbi). Par contre, il fabrique des monstres, des infâmes, les ennemis de la société toute entière sur lesquels il devient légitime de prendre une toute puissance de plein droit (lire l’article du journal de L’Envolée « Tous les prisonniers sont politiques »).
Michel Foucault, Surveiller et punir, extraits de films et discussion sur la prison aujourd’hui à partir de son livre.
La prison n’a pas toujours existé, elle est devenue une évidence malgré l’aveu de son échec : pourquoi ?
« A ceux qui se croient libres », L’actualité des luttes, émission de radio consacrée au livre de Thierry Chatbi et Nadia Menenger.
Ecouter les paroles d’un prisonnier de longue peine, le récit sa vie et comprendre.
En ces temps d’état d’urgence, l’accomplissement de la négation de dignité de nos semblables peut être porté à son comble. Parce qu’en temps de crise, on s’en remet plus que jamais à ceux qui ont le pouvoir. On détourne les yeux car on ne sait plus où donner de la tête. Laissant libre champs au capitalisme de catastrophe et à son cortège de lois inégalitaires (lire la discussion avec Noémi Klein sur ZinTV).
Noémi Klein, discussion sur ZinTV à propos du « capitalisme de catastrophe » et la
« doctrine de choc », un exemple américain.
« Tous les prisonniers sont politiques », L’Envolée, numéro 50, juin 2019, extrait.
2020 : les prisons sont remplies de Gilets jaunes, de pauvres, d’étrangers…
L’Envolée remet les pendules à l’heure.
Nous devons plus que jamais nous battre pour l’universalité de l’accès aux soins, aux gardes d’enfants, aux congés maladie payés, au maintien des salaires, lutter pour les droits universels à vivre dignement et sans privation de liberté.
Nous devons plus que jamais garder nos regards aiguisés sur la tendance aux lois impopulaires et inégalitaires qui profitent de la catastrophe pour être votées.
Car tout cela est lié. Dans une catastrophe, nous ne pouvons pas être en sécurité dans notre bulle. C’est le système entier qui est touché. Les prisonniers du monde nous enseignent par douche froide cette réalité : nous sommes très interdépendants dans ce système. Je ne tomberai pas malade si les autres, autour de moi et dont je dépends, mes proches, ceux qui me nourrissent, ceux qui me soignent, ceux qui m’aident, ceux qui me contrôlent, ceux qui trient mes colis, ceux qui livrent, ceux qui vendent, ceux qui volent, ceux qui dorment devant ma porte… ne tombent pas malades.
Aucun d’entre nous n’a été condamné à mort.
Si nous ne prenons pas soin les uns des autres, aucun ne sera en sécurité. Nous sommes coincés.
Il n’y a pas d’arrangement possible.
Photographies de l’article : Extrait du film PANOPTICON 1940 – Benjamin Burtin 2020