Vous l’avez probablement vu sur les réseaux sociaux, les artistes, écrivain.e.s, musicien.ne.s, auteur.ices., danseur.se.s, artistes de rue, inventent de nouvelles manières de créer afin de faire profiter leur art à tous.te.s.
Divertir, faire réfléchir, rebondir sur l’actualité, faire rire, prendre du recul, vous faire passer un bon moment, témoigner, leur rôle parait essentiel dans ce que nous vivons actuellement.
Il faut garder des traces, faire se croiser les points de vue parmi la masse informative que l’on reçoit quotidiennement. Les artistes apportent un contre-poids, une manière plus touchante, sensible ou directe d’aborder la période de confinement.
Yas Munasinghe, illustrateur et auteur de BD dont on vous a déjà parlé sur ODIL, dessine
Le Journal du Confiné. C’est une vraie respiration que de suivre ses productions quotidiennes sur sa vision du monde actuel depuis chez lui. Ça fait du bien, ça permet aussi de rester vigilant, de rester critique.
Il nous parle de son travail !
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Comment vas-tu ? Le confinement, toi perso, tu le vis comment ?
Salut. Je vais bien. Et toi ?
Alors, comment je vis le confinement ? Très sincèrement, je ne vais pas fanfaronner. Être privé d’un droit fondamental et d’une nécessité que je pense vitale telle que la liberté de se mouvoir n’est pas simple. Mais, j’ai de la chance de ne pas être seul et d’avoir du papier et un crayon pour m’évader…
Les journaux de bord sont des formes d’expression beaucoup utilisées ces temps-ci, toi t’as l’air d’avoir hésité à trouver la forme adéquate pour communiquer et dessiner ! Tu nous expliques comment t’as trouvé la bonne ? C’était quoi tes intentions ?
En effet, le carnet de bord, de voyage ou encore le journal intime sont des formes d’expression en vogue en ce moment. Et pour cause ! Cette façon de raconter est liée aux « aventuriers », à celles et ceux qui vivent (physiquement ou moralement) une aventure extraordinaire. Or, c’est exactement ce que nous vivons actuellement. Je tiens d’ailleurs à remercier tous ces artistes qui partagent leurs périples sur les réseaux sociaux. Ça fait du bien !
Effectivement, les premiers jours de confinement, je n’étais pas très inspiré, comme si le bouleversement qui s’opérait en moi était trop vif pour être canalisé. Ce qui rendait impossible l’extirpation de ce que j’appelle la dimension artistique. Pour moi, l’Art est une affaire de tempérament : il y a des courants artistiques qui vibrent sur le vif, exultent dans l’émotion du moment et cela donne des créations très inspirées et expressives, et il y a des formes artistiques qui ont besoin de mastication et de digestion de l’objet avant de naître. Disons que je navigue entre les deux…
Les premiers temps, j’ai plutôt fait des croquis du lieu du confinement comme pour rendre extraordinaires les objets ordinaires qui m’entouraient. La représentation de la banalité est un vrai sujet artistique ! Mais cela devenait lassant car – je ne pense pas être le seul – un besoin irrépressible de partager m’est apparu encore plus intensément qu’auparavant. Pour être tout à fait honnête, je ne pense pas qu’il y ait une bonne ou une mauvaise façon de communiquer artistiquement pour peu que notre « travail » fasse écho à l’universel, c’est-à-dire à ce que « tout le monde » vit. C’est pourquoi, je n’ai pas cherché à être original mais à faire ce qui me semblait le plus adéquat avec mon envie. De plus, je n’ai pas cherché d’intention. Je fais juste comme j’ai toujours fait. Dessiner pour extérioriser, pour dire et pour ne pas oublier… Et je ne le fais pas comme une mission que je me devais de remplir aux yeux des autres. Non, c’est un acte presque égoïste car j’ai besoin de partager et d’avoir l’énergie des autres même à distance. À vrai dire, c’est plutôt celles et ceux qui aiment et commentent mes dessins qui me donnent de la force et non l’inverse ha.. ha …
Les artistes trouvent plein de façons alternatives de créer et de communiquer leur art sur les réseaux sociaux, festivals virtuels, permanences poétiques, rendez-vous hebdomadaires…
Ils ont un rôle indispensable à jouer pour témoigner de cette période étrange ?
Il me semble que l’homme ne se nourrit pas uniquement d’aliments matériels mais aussi de nourritures « culturelles / spirituelles ». Sans quoi, il dépérit. Il serait mal avisé de ma part de mélanger ces deux choses : à savoir, de fait, les premières et indispensables nécessités en ces temps de crise sont la santé, l’approvisionnement, la sécurité. Cela dit, pour entreprendre un long chemin de confinement, l’Art et la Culture – dans toutes leurs formes – seront des alliés qui deviendront sans doute indispensables… Aussi.
Je crois que nous sommes – au-delà d’être peu de chose – des êtres interdépendants des autres mais aussi de notre « moi » du passé. Alors quoi de mieux que l’Art pour se réconcilier avec soi, vibrer ou pleurer avec les autres, faire éclore ses émotions, se souvenir d’un parfum et danser…
L’Art n’est-il pas la meilleure passerelle pour une introspection et le partage avec son prochain ?
Alors oui, je pense que tout le monde a un rôle à jouer dont les artistes… Chacun doit contribuer à l’harmonie et à l’apaisement – sans tout excuser ! – dans cette épreuve inédite que nous traversons.
Je pense que nous devons en effet être acteur et témoin de ce bouleversement de nos quotidiens… Pour que les choses changent.
De manière légère, tes dessins disent plein de choses… Tu te fais un devoir de rendre hommage à celles et ceux qui travaillent pour tout le reste de la population.
Tu crois qu’on aurait tendance à les oublier, dans notre bulle imposée ?
Mes dessins essayent d’être le plus léger possible même si je n’y arrive pas toujours…
Et en effet, je suis ému par la force et la dignité de celles et ceux qui œuvrent pour le bien commun en ce moment. Et modestement, je ne peux que leur rendre hommage. Par une ironie que seule la réalité rend possible, aujourd’hui ce ne sont plus les « importants » qui font tourner le pays, eux et leurs visions étriquées du monde, mais les gens simples dont l’humanité n’a pas été corrompu par le fric. J’espère que nous ne les oublierons pas mais aussi que nous tirerons leçon de ce qui est vraiment essentiel pour vivre dignement et humainement sur cette terre. Quand je dis cela, je me mets aussi dans le rang des coupables. Coupable d’avoir céder à un monde d’illusion axé sur le bonheur matériel et artificiel. « Avant de changer le monde, change toi toi-même ! »
Pourquoi faut pas dire que c’est la guerre ?
Il me semble que si on nomme mal une maladie, on ne peut que trouver des mauvais remèdes. Ici, parler de « guerre » alors qu’il s’agit d’une pandémie, me dérange. Car les moyens et les solutions à apporter sont différents. Bien entendu, ce langage guerrier a une forte connotation dans nos sociétés empreint de plusieurs guerres et je pense que le gouvernement emploie ce terme « marketing » pour marquer le coup… Pourquoi pas… Mais moi personnellement, j’appelle ça une pandémie…
C’est compliqué d’avoir des repères et de choper les bonnes informations avec tout ce qu’on lit, voit, entend, un conseil pour faire le tri ?
En effet, je crois que nous devons absolument analyser et rechercher la fiabilité des sources avant d’ingérer une information… Surtout aujourd’hui ! Souvent, on va chercher des informations qui vont réconforter notre opinion déjà acquise… Et rejeter les arguments qui cassent « nos croyances ».
C’est humain. Mais le savoir, c’est mieux que ne pas le savoir ha… ha… Je n’ai pas de conseil à donner mais je pense qu’on doit tous veiller à ne pas croire des informations (fussent-elles réconfortantes) qui n’ont pas été éprouvées à la contre-argumentation, à l’analyse, et à une expertise légitime. Quand je ne sais pas, je me réfère à celui qui sait…
C’est la base. Je ne vais pas m’improviser docteur ou maçon. Et pour tout le reste, nous ne pouvons que compter sur notre bon sens.
J’ai l’impression qu’on a tous compris qu’il y aurait un avant/après… Ce serait quoi la plus belle manière de reprendre pour toi, une fois qu’on nous dira OK pour sortir ?
C’est une belle question. La plus belle manière de sortir, pour moi, est sans doute de ne pas sortir de l’essentiel qu’il m’aura été donné de vivre comme expérience humaine et spirituelle pendant ce confinement. Bien plus que l’avant/après, le « pendant » sera aussi difficile que bénéfique pour chacun d’entre nous… Pour devenir au présent quelqu’un de meilleur pour soi et pour les autres… Je vais finir par écrire des chansons d’amour si ça continue… Alors je m’arrête là (Lol comme on dit).
Maëlle Ghulam Nabi, le 13 avril 2020