Notre chère Hanicka Andres nous a transmis aujourd’hui une initiative qui nous a paru essentiel de relayer.
Derrière la crise sanitaire qui prend beaucoup de place dans les médias, on oublie parfois la réalité quotidienne des individus. On n’est pas tous logés à la même enseigne quand il s’agit d’appliquer les règles de confinement mise en place pour lutter contre la propagation du virus COVID19…


Certains ont la chance de pouvoir préparer leur potager au soleil, de lézarder ou de convertir cette pause forcée en occasion de réaliser tout ce qu’on ne prend jamais le temps de faire. Certains sont en famille ou entre amis et doivent se supporter avec patience et amour. D’autres sont contraints de vivre plus à l’étroit, d’observer le monde par une fenêtre d’immeuble, de vivre avec les contraintes sonores de la proximité des voisins… D’autres encore sont seuls, avec ou sans enfants, et les jours qui s’égrainent peuvent alors paraître bien longs, parfois difficiles.

Hanicka a l’habitude de mettre en valeur par son travail photographique, les femmes qui vivent dans les quartiers populaires du Creusot. On avait suivi le beau projet Quartier partagé, mis en place à Harfleur. Cette fois, elle propose de partager les témoignages du confinement de trois femmes. Il y a Baktha Sisbane, 47 ans, agent d’entretien, mère célibataire avec deux enfants : Selma, 15 ans et Mohammed-Youcef, 12 ans. Ils vivent tous les trois aux Riaux. Puis Neige, 60 ans, au chômage et célibataire qui habite à la Molette. Enfin Chahrazed Achou, 47 ans, chargée des relations publiques pour la scène nationale L’Arc, mère célibataire avec sa fille Naëlla. Elles habitent toutes les deux à Harfleur.
Hanicka leur a demandé à chacune d’envoyer un texte court qui relate leur journée et une photo pour l’illustrer.


« Histoire de trois confinements ordinaires, pour trois femmes d’exception. Pourquoi ordinaire ? parce que c’est un quotidien que la grande majorité de Français doit subir. Pourquoi d’exception ? Parce que, reconnaissons-le, vivre cette situation quand on est seule, avec ou sans enfant, c’est compliqué et il faut un certain courage. Merci à vous mesdames pour ce partage d’expériences … »

Hanicka Andres, mars 2020.

Trois femmes photographiées par Hanicka Andrès

Nous avons pris la liberté avec l’accord d’Hanicka de relayer aujourd’hui leur témoignages de ces premiers jours de confinement. Nous vous invitons à continuer à les lire et à les partager dans les temps à venir, en visitant la page qui est consacrée à leurs récits ! Pour suivre les récits de Chahrazed, Neige et Bakhta tous les jours c’est par ici : confinement ordinaire de femmes d’exception !

Mardi 17 mars 2020

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« Nous y sommes ! Hier soir le Président nous annonce que nous serons tous confinés. A ce moment-là, mille et une questions fusent dans ma tête. Je ne sais toujours pas si je dois aller travailler ; mon chef me dit de venir mais j’ai la peur au ventre, peur de mettre le nez dehors. L’impression que si je mets le pied dehors, une alarme va retentir dans toute la ville. J’explique à mon supérieur que j’ai deux enfants de moins de 16 ans. Après une journée de réflexion, il m’autorise à rester chez moi. Je suis soulagée, non pas de ne pas travailler, mais de rester enfermée à l’abri, avec mes enfants. » BAKHTA

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« Premier jour de confinement. Comme beaucoup j’ai écouté E. Macron. C’était la première fois que je l’écoutais. Je me suis dit que la situation était grave. La veille j’avais fait quelques courses chez Aldi. Vivant seule, je n’ai pas acheté davantage que d’habitude. J’ai ri de voir que j’avais acheté du papier toilette et un paquet de café, à cause de tout ce qui coure sur les réseaux sociaux sur le sujet. La journée s’est terminée sur le rangement d’un placard dont je repoussais l’échéance depuis mon déménagement. » NEIGE

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« Il faut s’organiser ! Je suis en panique concernant mes futures fonctions d’enseignante. Comment faire comprendre à ma fille, Naëlla, que ce ne sont pas les vacances, alors qu’elle est parfaitement consciente de ce qui se passe. 20 h, annonce du Président ; « restez chez vous, ne sortez que si vous avez un besoin impérieux de le faire. Figée devant mon téléviseur, ma première réaction fut de penser  ce que j’avais dans le frigidaire et notre éventuel besoin de ravitaillement. Nourrir ma fille ! » CHAHRAZED

Mercredi 18 mars 2020

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« Je me réveille tôt. Je dois appeler la femme de mon papa car c’est son anniversaire. Nous parlons de notre obligation de confinement et alors que je suis sur le point de raccrocher, je prends conscience que j’ai oublié de lui souhaiter un bon anniversaire. Je profite de ma lancée pour envoyer un sms à Sylvestre, un élu que j’apprécie beaucoup ; c’est aussi son anniversaire. Je poursuis avec mes enfants. Installés dans le salon, nous allons commencer le travail scolaire. Je suis en panique totale. Moi qui n’ai aucun diplôme, comment vais-je arriver à enseigner des cours du collège à mon fils ? Sans compter qu’il est atteint de dysgraphie et de dyspraxie. Pour ma fille, au lycée, c’est encore plus compliquée d’aborder les choses sereinement. Au début nous sommes tous un peu perdu, mais petit à petit, nous finissons par trouver nos marques. Je me rends compte que je redécouvre mes enfants. Notre complicité est là plus que jamais. Je crois que notre vie habituelle nous l’avait fait oublier » BAKHTA

« Aujourd’hui, je dois sortir. Je me prépare à prendre toutes les dispositions de sécurité. J’ai rendez-vous chez mon médecin. Pas de circulation dans la rue. Je me dis que le confinement est bien respecté par chacun et ça me rassure un temps. C’est bien triste dans mon quartier. Habituellement à cette heure-ci on entend les enfants jouer dehors. Cet après-midi je commence un livre : « L’enfant du Titanic ». J’ai de quoi m’occuper avec les 15 livres que j’ai récupérés avant de déménager. » NEIGE

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« Je me lève vers 7h30. je prend le temps de me questionner sur la réalité de la situation. Oui, je suis bien en arrêt maladie exceptionnel, suite à la pandémie du Coronavirus. Je consulte mes mails et prends connaissance de celui de la maîtresse de ma fille qui m’annonce que je vais recevoir les devoirs par mail. Première leçon : les divisions, les fractions et les groupes nominaux. Je n’ai plus qu’à me remettre aux révisions avant de tenter de lui enseigner ce qui est complètement sorti de ma mémoire. Petit-déjeuner devant le net pour retrouver la mémoire et prise de fonctions en tant qu’enseignante. Ma fille est dyspraxique et dysgraphique, du coup j’appelle au secours son AVS qui me conseille comme elle peut. Nouveau message qui me fait sourire ; mon coach de Zumba qui nous annonce un live à 18h15. 45 minutes de cardio m’aideront à déstresser. » CHAHRAZED

Jeudi 19 mars 2020

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« Fatiguée et déprimée, je décide de trainer au lit et de laisser mes enfants dormir un peu plus. Réveillés, nous commençons notre rituel ; petit-déjeuner, école … L’après-midi, chacun est à ses occupations. Selma est dans sa chambre en visioconférence avec son professeur, Mohammed-Youcef est également dans sa chambre à jouer avec ses playmobils. Je décide, pour leur faire plaisir de leur faire des gaufres pour le goûter. Nous partageons un fou rire en voyant la pile énorme de gaufres que j’ai réalisée pour eux. J’aime voir mes enfants rire et partager ce moment-là avec eux m’a fait oublier un temps, cet épisode cauchemardesque que nous traversons tous. En boucle dans mon esprit, toujours cette même question : « et si on ne s’en sortait pas ? ». BAKHTA

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« En buvant mon café, je me suis demandé ce que j’allais faire aujourd’hui. Je me suis dit que la journée allait être terriblement longue, et je me suis engueulée. Oui, il m’arrive de parler toute seule ! Oui c’est risible, je sais et moi aussi il m’arrive d’en rire. J’ai pensé à mes parents, à ce qu’ils ont vécu pendant la guerre d’Espagne, les restrictions alimentaires, se cacher dans les caves quand les sirènes retentissaient. Pourquoi me plaindre ? Il faudra que je raconte l’histoire de mes parents dans un autre récit. Pour laisser une trace à mes enfants et mes petits-enfants. Laisser une trace … C’est important, non ?  » NEIGE

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« Même réveil, même questionnement sur la réalité de la situation. Nul doute, tout le monde n’arrête pas d’en parler sur les réseaux sociaux et à la télévision. Je passe la tondeuse dans mon petit jardin. C’est une bénédiction d’avoir un jardin en ce moment. Un déferlement de questions m’envahit, concernant l’éducation de ma fille, ma famille au Creusot, dans le sud de la France, en Algérie. J’ai l’impression d’être dans un film de science-fiction. D’où vient ce virus ?, comment est-il arrivé ? J’essaye de rester sereine. Via Facebook, on s’envoie des vidéos et des images humoristiques entre copines pour nous sentir moins seules. » CHAHRAZED

Vendredi 20 mars 2020

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« Notre rituel se met en route dès le matin : petit-déjeuner, école. Cet après-midi, je décide d’aller faire quelques courses et récupérer mon traitement. Avant de partir, mes enfants me serrent fort dans leurs bras ; j’ai l’impression de partir au front. Beaucoup de tristesse dans le regard des gens que je croise. Et puis je pense à mon père qui me manque énormément. Je passe devant sa maison mais je ne m’y arrête pas. Je me dis que si nous nous en sortons, il sera le premier que j’irais voir et que je serrerais fort dans mes bras. » BAKHTA

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« J’ouvre mes volets sur le beau temps. Je n’ai pas très bien dormi et je me fais du souci pour mes enfants et petits-enfants. Ma fille est auxiliaire de vie et je suis très inquiète pour elle. Elle est mal équipée pour se protéger, alors je lui demande de se mettre en arrêt de travail. Je sais que c’est égoïste mais c’est mon coeur de maman qui parle. Elle refuse en me rappelant que les personnes âgées dont elle a la charge ont besoin d’elle. Mes trois fils sont confinés, car leurs entreprises sont fermées. La journée s’étire sans fin ; je fais du ménage et mes vitres. » NEIGE

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« Au bout de trois jours de confinement, je me rends bien compte de la réalité. Je déjeune et je me prépare à sortir. J’ai besoin d’acheter de l’encre pour imprimer les textes en PDF que la maîtresse envoie. Attestation complétée, masque sur le visage et gants. Rupture d’encre au supermarché. Idem pour le papier toilette. Dans l’une des deux grandes surfaces parcourues, je dois faire la queue en faisant attention d’être suffisamment éloignée de chacune des personnes qui m’entoure. Je suis surprise de voir des personnes âgées sans protection, alors qu’elles sont plus vulnérables que n’importe lequel d’entre nous. Je complète mon caddie avec bonbons et chips pour faire plaisir à ma fille. Il est temps de se remettre aux divisions. La séance s’avère difficile pour elle, alors on s’arrête et on reprendra demain. Envie de faire quelque chose pour les autres ; je crée un groupe de danse orientale sur Facebook, qui débutera dimanche à 14h. Rangement dans le jardin sur un fond de musique. Ma voisine fait de même et on se met à danser, clôture interposée. » CHAHRAZED

Vous pouvez également suivre le récit d’Hanicka ici : Journal intime d’une maman en « guerre »

Illustration de l’article : Photographie issue du projet « Quartier Partagé » par Hanicka Andrès