Résumé de l’épisode précédent :
Dans un monde fatigué et paranoïaque, un festival lyonnais mené par une bande de joyeux desperados s’organise malgré toutes les difficultés liées aux conditions sanitaires, parce qu’il croit toujours et indéfectiblement en la puissance du grand écran.
La divine Sugar Hill, héroïne badass et son armée de zombies vengeurs, un serial-killer dérangé armé d’un lance-flammes, un avocat véreux qui trouve le chemin de la rédemption avec l’aide d’un hallucinogène surpuissant, modifiant carrément sa perception du temps, un carnage gore réjouissant et azimuté dans une prison de haute sécurité mené par un champion des arts-martiaux à l’esprit infaillible et à l’âme pure, un polar hong-kongais terriblement sombre et désespéré et une série de court-métrages dérangeants, uniques, fous, morbides, poétiques, à la beauté ténébreuse et envoûtante… 

Le premier épisode avait rempli ses promesses : contenter et faire monter le désir comme un beau préliminaire qui annonce un acte excitant. Et j’avoue que c’était l’un des gros morceaux, ma grosse attente durant ce festival, ce qui a motivé mon déplacement presque exclusivement..
Presque parce que, bien sûr, c’est la découverte de tout ce qu’il est humainement possible de découvrir qui dirige ma motivation.
Le voyage et l’exploration de ces territoires mentaux et ces contrées imaginaires qui malmènent avec plaisir mes certitudes, sont une récompense.
Enfin quand même, deux films qui ne sont jamais sortis en France, réunis dans une thématique qui sonne comme une promesse d’hallucinantes réjouissances.

SOIRÉE THÉMA MANGA : de chair et de sang

I am a hero – 2016 – Shinsuke Sato

Damned ! Encore un film d’infectés zombies morts-vivants… Pouaah ! Depuis The Walking Dead et toute la filiation, on a bien compris que l’un des mythes les plus généreux du cinéma contemporain pouvait s’essouffler. Jouer la redite et la surenchère sans rien apporter de réellement original.
Il fallait se tourner vers le pays du matin calme avec Dernier Train pour Busan de Yeon Sang-Ho pour regagner un peu d’espoir, retrouver une vitalité, une urgence et un regard sur la société humaine, particulièrement acerbe et désenchanté. On a pensé que c’était le nouveau marqueur du film d’infectés, puisque c’est comme ça qu’il faut désormais le présenter, on n’avait pas complètement tort.

Pourtant, en même temps, est sorti au Japon, I am a Hero réalisé par Shinsuke Sato et adapté d’un manga de Kenzo Hanazawa disponible en 22 tomes aux éditions Kana en France. On peut considérer Shinsuke Sato comme un spécialiste de l’adaptation live de manga populaire. On lui doit notamment les adaptations de Gantz (Le premier film est une belle réussite disponible en France en Blu-Ray/DVD et sur Netflix. Il reste toutefois beaucoup moins porté sur le gore, le sexe que le manga ), Bleach et Death Note. Les deux derniers étant également disponibles sur Netflix.

I am a Hero raconte donc l’histoire d’un assistant mangaka*, Hideo Suzuki, à la timidité maladive, dont la seule particularité est d’avoir un fusil et le permis de port d’arme qui va avec. Ce qui ne va pas de soi dans un pays où la détention d’arme est ultra surveillée ; mais qui s’avérera un atout précieux pour sauver sa vie, même s’il la considère misérable. Cette vie misérable va basculer le jour où une épidémie mondiale transformant les gens en infectés véners et particulièrement acharnés va plonger le pays dans le chaos…

Si le film n’évite pas complètement les clichés inhérents à ce genre de production, il les intègre avec savoir-faire : la communauté de survivants divisée, les luttes de pouvoir au sein de cette nouvelle micro-société, la découverte de l’épidémie… À ce titre, toute la séquence de découverte de l’infection et le développement de son ampleur est une leçon de cinéma. La gestion de la montée progressive de la tension, le rythme, l’intensité jusqu’à l’explosion du chaos total justifie à elle seule la vision du film. Pas seulement  parce qu’elle est visuellement dingue, mais parce qu’elle s’insère parfaitement dans la logique de délitement de la vie d’Hidéo. Ce n’est pas un hasard si la première personne infectée que le héros rencontre est sa petite amie qui vient de le foutre dehors !
Sa compagne de route, Hiromi est un personnage également très touchant. Lycéenne timide, probablement harcelée par ses camarades, mais bourrée d’humour, redonnera foi en l’humanité à Hidéo en même temps qu’elle perdra une partie de la sienne… Une grande partie de l’action du film est donc sous-tendue par cette question : mais putain quand est-ce que Hidéo va devenir Ce Héro ? Et quels événements vont faire de ce personnage lambda, un héros ?
La scène finale enterre le médiocre La Horde de Yannick Dahan, parce que par son body-count réjouissant, mais aussi parce qu’elle est le point culminant de la trajectoire des protagonistes. Ajoutez-y une énergie géniale débordante et une inventivité  de tous les instants et vous obtenez tous les ingrédients pour faire de I am a Hero un film plus que recommandable.

*Les assistants aident le mangaka a terminer les dessins dans les délais impartis. Ils peuvent s’occuper de dessiner les décors, les scènes de foules, les cheveux, les vêtements… Après que le mangaka a réalisé les dessins de bases. Certains peuvent prendre des assistants pour dessiner des objets ou détails spécifiques (Go Nagaï, par exemple, avait un assistant qui dessinait exclusivement les hélicoptères et véhicules militaires). Les assistants n’interviennent jamais sur l’intrigue du Manga. Et certains mangaka ne prennent pas d’assistants et font tout eux-mêmes. »

Malheureusement, aucune sortie prévue en France pour l’instant.


Lesson of the Evil – 2012 – Takashi Miike

Grosse taloche en approche dans 3, 2, 1…

Hasumi Seiji, professeur d’anglais aimé par ses élèves et respecté par ses collègues, a quelques idées pour éviter la triche et le harcèlement au sein du lycée dans lequel il vient d’arriver. Mais derrière cette façade si rassurante se dissimule une vérité plus inquiétante.

Un film d’une violence rare comme une manif pour un pot de nutella à prix cassé, sèche comme une bouche un lendemain de cuite, aride comme une vallée de la mort tapissée de crâne de clowns… Je pourrais tenter d’aligner les punchlines foireuses pour égaler, sans jamais y parvenir, la sensation étrange que procure ce film réalisé par un Miike à son apogée. Dans Lesson of the Evil, Takashi Miike maîtrise avec une aisance ahurissante les ruptures de ton au sein de son récit ; basculant dans le même plan d’une violence brutale et sans concession à une forme d’humour très noir ou une poésie morbide.

Naviguant entre le réalisme de certaines scènes (la vie scolaire) et le lyrisme voire le surréalisme gore, Takashi Miike joue avec le rythme et la tension avec une désinvolture de gamin comme sur un air un peu jazzy qui prend tout son sens avec la reprise entêtante de la chanson Mack The Knife. Parce que Lesson of the Evil est un hommage et une adaptation de toutes les versions de cette superbe chanson dont une des interprétations les plus célèbres reste celle de Ella Fitzgerald

Avant d’être un standard de Jazz, la chanson s’appelait Die Moritat von Mackie Messer. Elle a été écrite par Bertolt Brecht sur une musique de Kurt Weill pour la comédie musicale l’Opéra de quat’sous. C’est une complainte médiévale racontant l’histoire de Mackie le surineur (Mack the knife en Anglais) et inspirée d’un personnage ayant existé. Une personnage cruel et sinistre dont Brecht fait un anti-héros moderne.

Dans la chanson, Mack tue sans remord et dépense sans compter l’argent des autres. C’est une mise en garde. Méfiez vous, ne croisez pas sa route ou vous risqueriez d’y rester.  

Dans le rôle principal de Seiji Hasumi, Hideaki Itō fait merveille et joue à la perfection de son charisme. Il ensorcelle les collégiennes, hypnotise ses collègues puis finit quand même par inquiéter les collégiens. Il réussit également à nous faire ressentir avec profondeur le vide existentiel du personnage et son manque total d’empathie envers l’espèce humaine d’une manière totalement effrayante, étrangement attrayante et attirante. 

Takashi Miike est un réalisateur japonais qu’on ne présente plus. Embrassant tous les genres sans distinction, toujours avec un indéniable savoir-faire qui confine quelques fois au génie pur. Et quelques autres au ratage indigeste. Qu’est ce que ça peut faire ? Quand vous voyez un film de Miike, il en a déjà réalisé 3 ou 4 autres. Une centaine de films à son actif, quelques pièces de théâtres, des séries, des clips. Parmi les plus connus, on peut citer :

la trilogie Dead or Alive – 1999 – 2000 – 2002
Audition – 1999 – beaucoup le considèrent comme son meilleur film. 
Visitor Q – 2001 – Attention film fou.
13 Assassins – 2010 – La séquence d’attaque finale dans le village (qui il me semble dure au moins 3/4 d’heure) est démentielle.
Ichi the Killer – 2001 – Attention film fou.
L’épisode La Maison des sévices de l’anthologie Master of Horror – 2006 . Jugé trop choquant par la chaîne Showtime, il n’a pas été diffusé et est sorti directement en DVD.

Chacun de ces films est un voyage aux limites du supportable, une expérience viscérale, érotique et organique aussi drôle qu’éprouvante. Aussi intense qu’un tatouage sur la rétine. Une œuvre dont on rêve tout en sachant qu’elle va nous faire mal, mais, qu’au final, on sera heureux d’avoir visionné. En ces temps de frilosité générale avoir pu visionner Lesson of the evil sur grand écran était un pur cadeau. Film à la violence décomplexée et cathartique, Lesson of the Evil se pose comme une œuvre majeure du cinéaste, voire sa meilleure…

Malheureusement ce film n’est pas non plus distribué en France. En attendant, rien ne vous empêche de pêcher dans la liste ci-dessus si vous ne connaissez par encore le bonhomme pour tenter l’expérience. 

COMPÉTITION DE COURT-MÉTRAGES

Le festival a proposé une série de 8 courts métrages variés dans leurs styles et thématiques. Malheureusement, Robert Morgan avait placé la barre tellement haut la veille que je n’ai retenu de cette projection, rien d’aussi puissant. Toutefois, la sélection restait de bonne tenue. Voici ceux qui m’ont marqué.

Animal de Russell Leigh Sharman

L’ambiance naturaliste et anxiogène particulière laisse une grande place à l’interprétation et s’avère bien réalisé. 


The Cunning Man de Zoe Dobson

Film inspiré du médecin et guérisseur gallois John Harries qui a vécu au 19ème siècle. Il utilisait des méthodes alternatives comme la magie et l’astrologie. Ici, c’est un médecin local qui utilise la magie et la médecine conventionnelle pour soigner humain et animaux. Le film est extrêmement bien réalisé et mélange le réel et le surnaturel avec savoir-faire. Le personnage est captivant et on a réellement envie d’en savoir plus. Le film a eu le prix du meilleur court-métrage. C’est mérité.

Bad hair de Oskar Lehemaa

Un homme qui souffre de calvitie s’asperge d’une lotion miracle pour  faire repousser ses cheveux.. Ce qui n’est pas forcément la meilleure idée qu’il ait eu.
Une ambiance sombre pour cette histoire de mutation physique à la fois drôle et angoissante. Les effets sont bien réalisés et flippants.


The Obliterations of Chicken de Izzy Lee

3mn pour claquer à travers un montage puissant, toute la déliquescence du monde actuel.
Le film est construit uniquement avec des images d’archives et libres de droit. 


M52 de Yves Paradis

Pas sûr d’avoir vraiment compris le film, mais sa force visuelle vaut le déplacement.
C’est le film entier, profitez-en…

THÉMA HONG KONG

Police Story – 1985 – Jackie Chan

Jackie Chan a bercé mon enfance de ses coups de tatanes improbables et ses cascades homériques. Jackie Chan n’avait pas le charisme de Bruce Lee, il le savait, alors il a inventé un genre : l’action comedy. Un style et un univers qui n’appartient qu’à lui et qui l’a rendu célèbre dans le monde entier. Ses récentes prises de positions polémiques* et ses tentatives malheureuses de s’exporter aux États-Unis dans les misérables Rush Hour ne doivent pas masquer la qualité des films qu’il a réalisé dans les années 80, dont fait partie Police Story. Dans ces films, Jackie Chan revient aux bases du cinéma de divertissement, il se positionne dans la lignée des grands acteurs et réalisateurs du cinéma muet comme Chaplin et Buster Keaton et Harold Lloyd (une de ses grandes sources d’inspiration est Le mécano de la générale de Buster Keaton). Il y fait d’ailleurs plusieurs fois allusion au long de sa courte filmographie de réalisateur-acteur. Dans Le Marin des mers de Chine, il va, par exemple, jusqu’à rejouer la fameuse séquence de l’horloge de Harold Lloyd.

La hyène Intrépide, Dragon Lord, La Danse du Lion et surtout Le marin des mers de Chine**, Police Story 1&2, Mister dynamite

… Et bien sûr une flopée de films dans lesquels il coordonne les cascades et les combats avec la Jackie Chan stunt team. C’est un génie de la posture, du rythme et de la vitesse, un fou qui n’a eu de cesse d’inventer les cascades les plus incroyables, mettant de nombreuses fois sa vie en danger. Il faut revoir la séquence du bus dans Police Story, celle du centre commercial et le film dans son entier pour comprendre le talent du personnage. Dès la première séquence, le film démarre avec l’assaut d’un village à flanc de colline et une série de cascades qui vous laissaient un sourire béat et un petit filet de bave au coin de la bouche, tant vous étiez immédiatement capté par la frénésie de l’action. Et encore actuellement, face aux nombreux films maquillant leurs dégueulis de pixels en cascades prétendument épiques ; oui, c’est de toi que je parle Fast and Furious ; Police Story tient largement la barre et Jackie Chan en remontre largement à tous ces acteurs poseurs, Vinou en premier. Dans Police Story, le tempo ne faiblit jamais, même les scènes de comédie pures sont chorégraphiées avec précision. Je gardais du film un souvenir lointain, un plaisir dingue de mon enfance que j’ai vu dans un vieux cinéma de Chalon (le Royal pour ceux qui se rappellent) et qui a contribué à construire ma cinéphilie déviante. Est-ce que le film a vieilli ? Même pas ! Parce que Police Story, c’est un cinéma pur, fait par des artisans qui se décarcassent pour vous en coller plein la vue. Du cinéma fun, spectaculaire avec des vraies personnes qui font des trucs incroyables juste pour vous offrir deux heures d’émotions intenses et d’évasion. Du Bonheur total.

* Jackie Chan aurait pris plusieurs fois position contre les mouvements pro-démocratie de Hong Kong et plus largement contre la liberté de la presse. Il soutient largement le parti communiste chinois. Dans le même temps, il a créé de nombreuses fondations caritatives (dont la fondation Coeur de Dragon pour aider les jeunes et les personnes âgées dans les provinces les plus reculées de Chine). Bref un personnage sans doute plus ambigu que sa « bille de clown » ne le laisse paraître.

Et pour les plus passionnés d’entre vous, cette petite vidéo réalisée par la Maison du Cinéma Asiatique vous apprendra un peu plus sur le tournage chaotique du Marin des mers de Chine.

AVANT-PREMIÈRE

Extra-Ordinary – 2019 – Mike Ahern et Enda Loughman

Avec Extra-Ordinary, j’ai une mission : vous faire redécouvrir le tube extra-ordinaire de la célèbre Rock Star Christian Winter, Cosmic Woman. Ça éviterait bien des mésaventures à Rose et Barry. Ça éviterait que ce monsieur Winter, à la recherche d’un succès équivalent depuis, ne passe un pacte avec le diable en sacrifiant une vierge pour que sa femme Claudia continue à vivre dans l’opulence et la richesse, ses seuls centres d’intérêts. Avec les chips de crevettes.

En fait, ce serait dommage parce que vous passeriez complètement à côté de cette comédie fantastique irlandaise, éminemment sympathique. Barry, qui vit et subit encore le fantôme de sa femme au grand désespoir de sa fille et Rose, conductrice d’auto-école reconvertie qui possède le don de parler aux fantômes, qui sont des personnages immédiatement attachants empêtrés dans leur quotidien. Le désir absolu de célébrité de Christian Winter, interprété par le génial Will Forte, va réunir les 2 personnages dans une aventure qui les conduira à accepter ce qu’ils sont. 

Rose parle aux grille-pains ou plutôt les grille-pains et branches d’arbres possédées lui parlent, elle voit les fantômes et peut s’entretenir avec eux mais elle a préféré oublier cette faculté suite à un erreur qui a causé la mort de son père. Associez-y une galerie de personnages à l’avenant, tous parfaitement interprétés, une mise en scène discrète, mais aux services des personnages et retirer le cynisme post-moderne et les clins d’œils prétentieux aux spectateurs, vous obtiendrez Extra-Ordinary. Une comédie familiale sans prétention, jamais condescendante et particulièrement bien écrite. Le film idéal du dimanche soir qui vous changera sans conteste des rediffusions interminables ou des comédies basses du front et puantes de mépris.
Même si le film ne révolutionne pas le cinéma, son humour absurde, sa finesse et l’humanité de tous ses personnages le rendent particulièrement agréable et plaisant. 
Une petite douceur qui donne envie d’aimer les gens. 

Et puis il y a Cosmic Woman.

Disponible sur Canal VOD – Outbuster et Mubi 

CARTE BLANCHE À XAVIER GENS

L’échine du diable – 2001 – Guillermo Del Toro

Avec Le Labyrinthe de Pan, L’échine du diable reste sans conteste l’un des meilleurs films de Guillermo Del Toro. Dans ce conte gothique moderne, se déploie tout le savoir-faire du réalisateur, son intelligence du cadre, son sens de l’esthétique et sa rigueur formelle. Mais cela il le déployait déjà avec toute l’énergie et la virtuosité du gamin rêveur qu’il est dans l’hallucinant Blade 2, qu’il tournait quasiment en même temps. Dans L’échine du diable, Guillermo Del Toro se met entièrement au service de l’humain et de l’émotion en racontant l’histoire de Carlos, un jeune garçon de 12 ans qui débarque à Santa Lucia un établissement d’enseignement catholique durant la guerre civile espagnole. Un lieu hostile hanté par Santi, le fantôme d’un enfant décédé. 

La puissance visuelle indéniable de sa mise en scène se met donc au service de l’impact émotionnel de son histoire et livre un conte réaliste et cruel sur l’univers de ses enfants en temps de guerre. En s’inspirant grandement de la BD Paracuellos de Carlos Gimenez (paru dans Fluide Glacial, toi-même, tu sais), Guillermo livre une œuvre bouleversante qui nous transporte dans l’univers du conte pour mieux décrire la terrifiante réalité. À travers le regard de Carlos, il dresse un terrible constat sur le déchirement d’un pays. La force d’un conte, c’est de ne jamais édulcorer la cruauté du monde. C’est de raconter des histoires pour survivre, pour comprendre et pour rêver. C’est la force de l’imagination qui permet d’endurer la réalité du monde. C’est le tour de force de L’échine du Diable.

Et si le film n’est pas en tous points parfait, il marque, avec Le labyrinthe de Pan, un diptyque thématique parfait.  

AVANT-PREMIÈRE

Jallikattu – 2020 – Lijo Jose Pellissery

C’était dimanche. Mon dernier jour aux Hallus. Ayant entendu parlé de ce film en termes à la fois élogieux et bien mystérieux, j’avais décidé de rester pour le voir.
Sans doute ma meilleure intuition parce que ce film est une bombe. Et avec Lessons of the Evil, le meilleur film que j’ai vu cette année au festival.
Ils sont rares les films qui vous maintiennent dans une pente ascendante d’excitation jusqu’à leur conclusion, les films qui vous plonge dans une sorte de transe émotionnelle qui annihile toute tentative de première d’analyse et de recul immédiat. En France, Gaspar Noé travaille ses films dans cette optique ; le cinéma comme une drogue, avec ses montées euphoriques et ses descentes cauchemardesques. Il cherche l’état transitoire, hallucinatoire ou les images sont vécues comme une sensation épidermique…
Jallikatu est un peu de la même veine. En plus puissant, parce qu’ici Lijo Jose Pellisery vous propose une substance complètement inconnue qui va altérer votre perception et ouvrir de nouvelles connexions neuronales. Une montée continuelle jusqu’à un climax vertigineux. À vos risques et périls. 

« Le Jallikatu est une fête qui fait partie de la tradition tamoule du sud de l’Inde. Elle consiste à lâcher un taureau sur une place où des athlètes tentent de l’embrasser, à mains nues, à l’intérieur d’une limite de distance. »

Wikipédia

Dans Jallikatu, le film, la bête s’échappe et provoque la panique dans le village où devait avoir lieu l’événement. Dès le début du film la puissance de la mise en scène vous cueille : une rythmique, une suite de gros plans sur les personnages principaux qui s’éveillent, ouvrent les yeux, se préparent, des respirations, la musique… Vous êtes dans l’événement. Vous faites partie intégrante de cette foule. Vous êtes un villageois perdu au milieu de la cohue perpétuelle, impossible de ne pas suivre le mouvement. Pellissery enchaîne les plans séquences dingues, bondés de personnages dans les quatre coins de la séquence et gère avec un savoir-faire incroyable la montée progressive de l’hystérie collective qui gagne la population. 

Il serait coupable d’en révéler plus sur le film. Jallikatu est une œuvre visuellement folle, offrant des tableaux incroyables d’une puissance de frappe démentielle. En même temps qu’un rite extatique, Jallikattu est un voyage social et une réflexion philosophique qui prend son sens dans les derniers instants. La toute dernière séquence surligne peut-être un peu trop son propos. mais peu importe, cela n’entache pas l’immense pied, pris à la vision de ce film sans équivalent.
Jailliktu se termine sur un générique magnifique et une musique tribale entêtante que vous pouvez entendre en partie sur le trailer. 
Un ovni cinématographique qu’il faut célébrer comme il se doit en le voyant dans les meilleures conditions possibles.

Le film sort sur Amazon Prime Vidéo, le 02 Novembre. Si vous avez un compte Amazon… Bon c’est pas la meilleure idée de votre vie ; déjà parce qu’en cette période difficile il faut soutenir les commerces indépendants et pas l’homme le plus riche du monde, qui se fout de vous comme de son premier bouton d’acné, mais soit…
Prenez les 30 jours d’essai gratuit sur Prime et matez sans attendre cette perle.
Elle justifie, à elle seule, le déplacement.


Voilà ici s’achève pour moi, les hallucinations Collectives 2020. Un espace de liberté, de respiration entre deux confinements. À l’heure ou j’écris ces lignes le deuxième confinement a commencé.
Je retiens de cette escapade cinématographique deux choses :

  • Il faudrait pouvoir donner sa chance à n’importe quel film d’être vu sur grand écran. On va bien voir des grosses productions souvent ineptes et, sans des festivals comme celui-là, on ne se laisse que très rarement la chance d’être surpris, choqué, hypnotisé, amusé, excité ou émerveillé… Bon, malheureusement, j’ai peur que cet art populaire par essence devienne un art pour privilégiés si on n’y prend pas garde.
  • Ne jamais baissé les bras, oui, je sais dis comme ça, ça fait fait un peu moisi mais voilà… Faire, défaire, s’adapter, reconstruire sans jamais abandonner sa ligne de conduite. Et quand l’autoroute est fermée, il faut prendre les petites routes, c’est plus long mais on voit plus de paysages.

Tony Gagniarre, novembre 2020