L’été a démarré dans le Morvan cette année !
On le sait, parce que quand on est arrivés à Glux-en-Glenne (58), on a vu les routes bordées de magnifiques arbres en fleurs jaunes : on va pas faire les malins, on savait pas vraiment que c’était des châtaigniers… C’était le début de l’été donc et on a déboulé sur le Mont Beuvray pour lancer notre résidence-média. C’est un joli mot « résidence-média », ça sonne. Mais c’est surtout une idée qui nous tient vraiment à coeur.
Le principe est le suivant : sur un temps donné, on organise une virée exploratoire d’un territoire, à la rencontre de ses habitants, de ses singularités, des échos entre cet ailleurs et chez nous au Montceau. Pour nous, un média dʼaction, ça veut dire prendre soin de développer une méthode dʼintervention au carrefour des sciences humaines et sociales, de lʼobservation fine du territoire local et de la sensibilité artistique. Pour favoriser les liens de proximité avec les habitants. Cʼest aussi une approche compréhensive des trajectoires de vie qui vise à renforcer la dignité de soi et la possibilité de construire des ponts et des intérêts communs entre des habitants qui ne se rencontrent pas dʼhabitude. Notre spécificité tient à notre capacité à mettre en œuvre une exigence scientifique dans la manière de traiter lʼinformation locale, et des compétences artistiques dans la manière de produire des contenus et des formes populaires de transmission.
Les occupants du Beuvray ont un attachement fort à leur lieu de vie et cʼest ce qui donne aussi sa valeur à ce lieu, au site, au musée.
C’est justement le musée de Bibracte qui nous a sollicités cette fois. En parallèle de l’exposition temporaire, le musée est venu chercher les outils médiatiques et la méthode d’ODIL pour constituer une sorte de panorama des attachements de la population au paysage. C’est comme ça qu’on s’est lancés dans une consultation sympathique des habitants, pour observer ensemble ce qui les lie au paysage, pour raconter ce qui est parfois invisible, qui a existé et qui n’est plus, qui est déjà là mais qu’on ne voit pas encore… En questionnant le rapport intime de chacun à ce qui l’entoure, on peut composer un tableau collectif des modes de vie, de la co-habitation des humains et de la nature, de l’histoire et des perspectives d’avenir d’un milieu.
On a rencontré des Morvandelles et des Morvandiaux installés depuis des générations, des gens de passage, des parisiens en résidence secondaire, en fin de confinement choisi à la campagne. Des chercheurs de Bibracte, des enfants, des commerçants qui ont vu leurs villages dépérir et qui espèrent les voir renaître. On a bu quelques litres de café pour écouter ce qui se raconte et être aiguillés vers de nouvelles rencontres. C’est bien connu, c’est au bistrot qu’il faut aller pour savoir ce qui se passe ! Quand on se remémore tous les gens qu’on a croisés, ça donne un peu le tournis. Parfois les habitants nous ont ouvert en grand les portes de leur quotidien. D’autres plus farouches ont eu besoin qu’on s’apprivoise un peu plus longuement. Faut dire que la télé ne se déplace guère dans ces habitats éparpillés pour prendre le temps de savoir comment les gens y vivent… Six fragments recomposés de la parole collectée pendant cette semaine de résidence seront bientôt visibles.
Ah, et on a pris un peu plus de temps encore pour faire la connaissance d’Annie, de Ninon et d’Eric.
Une ancienne postière qui se promène sur les chemins. Une dessinatrice qui décrit ce quʼelle a devant les yeux avec son crayon. Un cantonnier qui entretient les haies du village. Ils cohabitent tous les trois avec le site de Bibracte. Et puis il y a le paysage qui les regarde.
La montagne était là bien avant eux, lʼancienne cité aussi… Et ces trois personnes nous ont fait entrer dans le rapport très subtil que des humains peuvent entretenir avec leur milieu de vie : être attaché à une certaine ambiance au quotidien, se sentir libre grâce à une odeur, des couleurs, le silence, comprendre les changements par la maîtrise de signaux dans le paysage.
En les suivant tous les trois, on a perçu le lieu comme un être vivant et en relation avec ceux qui lʼoccupent. Un lieu quʼon ne peut mettre en boîte et qui est défendu parfois par la grogne contre un manque de politesse vis-à-vis du paysage. On a compris peu à peu que ce lieu-même est un patrimoine vivant, choisi et choyé par ses habitants, à leur manière, différente dʼune personne à lʼautre. On est entré dans une appréciation plus fine de ce que veut dire « paysage » : ni un décor, ni une attraction touristique, ni juste un site remarqué par des experts pour son côté extraordinaire, mais un lieu dʼexpérience qui modèle des manières de vivre et des choix de société.
Eric nous a accueilli chaleureusement pendant ses travaux d’entretient du village, sous un soleil écrasant. Annie nous avait concocté une balade surprise sur des chemins qu’elle affectionne particulièrement. Et Ninon nous a permis d’assister à la naissance fébrile de nouveaux dessins, tout en haut du Beuvray.
On a hâte de vous montrer le documentaire qui gardera la mémoire de ces rencontres…
En attendant, on vous laisse avec Michel et Sylvie.
On s’était croisés déjà l’an dernier, pendant l’événement Faire Monde Commun, à l’occasion des Entretiens de Bibracte. On était logés à l’Hôtel du Morvan et c’est au petit déjeuner qu’on avait fait leur connaissance. Un an après et quelques mots échangés, c’est comme si nous n’étions jamais partis. Et c’est comme si le temps s’était un peu arrêté…
Parce que Michel nous raconte toujours comme lui et sa femme souhaiteraient enfin partir en retraite la conscience tranquille, après 30 ans de commerce.
Ils tiennent le Vival, au centre de Saint-Léger-sous-Beuvray. L’épicerie donne sur la place du village, un peu déserte, qui s’anime lors des jours de marché. Quelques échoppes ont mis la clé sous la porte, plus de boulangerie, plus de boucherie, moins de café-restaurants…
Michel et Sylvie se disent que l’histoire ne doit pas se terminer ainsi. Ils refusent de penser que personne ne reprendra l’épicerie après eux. Parce qu’ils savent que sans ce commerce de proximité, c’est la mort assurée de Saint-Léger. Ils lancent donc une annonce sans détours à des jeunes gens qui auraient envie de s’y installer, avec enthousiasme et réalisme.