J’ai grandi en lisant Strange, Spécial Strange, Nova, Titans, les récits complets…
Les éditions LUG c’était ma maison dans les arbres. J’attendais tous les mois de pouvoir lire les aventures des X-mens ; mes préférés évidemment, parce que j’avais un faible pour les exclus : Daredevil, Spiderman, Iron Man. J’ai vécu la période glorieuse des X-mens de Chris Claremont (1975-1991) et la création d’un univers qui a été laborieusement copié au cinéma sans être jamais égalé. Le Phénix noir, les Broods, les Morlocks, le récit magistral Dieu créé, l’homme détruit dont s’inspire en partie X-men 2 (2003) de Bryan Singer (peut-être le meilleur film)… Et Futur Antérieur, dont s’inspire le film X-Men : Days of the Future Past du même réalisateur (2014). Et puis tous les autres aussi. Je suivais attentivement les galères de taff de Peter Parker, ses déboires amoureux avec Mary-Jane.
Je me suis ouvert à la mythologie nordique dans les pages de Thor. Clairement les X-mens étaient mes personnages préférés.
J’ai lu très tard les Vengeurs (Avengers) parce que je me foutais comme de ma première communion et l’église qui va avec des Vengeurs et de Captain América. Sérieux, Captain América ? J’ai quand même fini par lire les Avengers Ultimate et le cross over Civil War. 10 fois mieux que le triste film Captain América : Civil War des frères Russo (2016). Vous savez celui où des mecs bourrés sortent d’une fête costumée et décide de créer un Fight Club sur le parking du Leader Price. 

Les éditions LUG c’était ma maison dans les arbres.

Editions LUG : Titans et Strange

Bon, pour être honnête j’aimais pas trop Iron-Man non plus. Le fils à papa génie de la technologie qui a fini par avoir des problèmes d’alcool parce que…
Je sais plus, je ne regardais Santa Barbara qu’épisodiquement. Et je vous l’ai dit, j’aimais pas trop Iron Man. 

Par contre j’ai découvert Batman à l’époque de The Dark Knight de Frank Miller et pour un personnage finalement assez similaire, j’ai tout de suite accroché. Probablement parce que j’ai commencé directement par The Dark Knight Returns (1987, éditions Aedena), dans lequel Batman a un sérieux pet au casque.
Et puis c’est la BD qui a propulsé le monde du Comics dans l’âge adulte. Elle n’était pas la seule : The Killing Joke et Watchmen ont accéléré le mouvement.
J’ai suivi.

Après le 11 septembre 2001, le monde de Marvel

ne pourrait jamais plus être comme avant. 

En 2001, après le 11 Septembre, Marvel a fait paraître une courte histoire en hommage aux victimes et aux vrais héros de l’événement (les pompiers, les policiers, les soignants). Les héros se faisaient gifler violemment par la réalité et constataient avec stupeur qu’ils n’avaient rien pu faire. L’épisode était touchant et finissait (il me semble) sur l’image des héros du réel en premier plan et ceux de la fiction derrière. Le monde de Marvel ne pourrait jamais plus être comme avant. 

Bon puis après, y’a eu les cross-over qui sont devenus légion au point qu’il devenait impossible de suivre l’histoire d’un seul personnage.
C’était à la fois logique et totalement mercantile. J’ai décroché le wagon et laissé partir le train. Je suis passé à autre chose. 

Enfin je ne lisais pas que des histoires de super-héros, rassurez-vous.
Je lisais déjà des histoires de personnages qui détestaient les super-héros comme Marshall Law (1987, chez Zenda et réédité chez Urban Comics) de Pat Mills et Kevin O’Neill ; oui, oui le génial dessinateur de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, soit bien avant The Boys (la série télé gentiment provocante. Je n’ai pas lu la BD). Le somptueux Ronin de Frank Miller et ses dessins pleines pages hallucinants (de 1989 à 1990 en 6 tome chez Zenda puis Semic, Panini Comics et Urban Comics). Du miel pour les yeux et des dessins pochettes surprises que tu déplies et qui t’explosent au visage comme un feu d’artifice. Du moins dans la version Zenda. Ou encore Slaine de Simon Bisley (le maître à dessiner de toute une nouvelle génération).

Enfin ?… Est-ce que j’ai arrêté de lire des bandes dessinées ? Ces petits illustrés destinés uniquement aux enfants, qui, quand on les lisait en public, vous renvoyaient des regards au mieux gentiment réprobateurs et au pire, moqueurs. La lecture de bazar face à la grande littérature. Le cinéma de genre face au cinéma d’auteur. Deux approches de la culture inconciliables pour certains, indispensables à mon avis. Deux îles dont les artistes comme Alan Moore (par exemple et complètement au hasard) sont des ponts. Leur acuité nous permettant de passer de l’une à l’autre, d’ouvrir les péages à l’entrée du pont pour fluidifier le trafic, donner envie d’aller voir ce qui se passe en face, revenir, repartir. 

Bref, je n’ai jamais arrêté de lire des bandes dessinées. Et encore je ne vous parle pas de ma découverte du manga, un univers tellement vaste qu’il faudra sans doute y revenir une prochaine fois. Quoiqu’il en soit le cinéma et la bande dessinée ont toujours été mes deux passions.

Le cinéma sollicite deux sens : la vue et l’ouïe. C’est une expérience de partage. Sur grand écran évidemment. Je ne parle pas là de regarder des films en V.O.D qui procède soit d’une petite masturbation rapide avant d’aller faire dodo (j’ai rien contre) ou d’un besoin de creuser dans les arcanes d’un film découvert sur grand écran, en prenant le temps de tamiser le flot incessant pour en extraire la moindre pépite qu’on avait vu briller au fond sans pouvoir l’atteindre.

La BD sollicite à mon sens, la vue et le toucher. C’est une expérience intime, organique et presque plus sensuelle. Le papier a son importance, comment la main va glisser sur les dessins… Le rythme de l’histoire est défini par le lecteur. On peut s’enfiler les pages ou bien s’arrêter sur un dessin, le détailler, revenir en arrière, sauter des pages, commencer par la fin. Le metteur en scène en BD reste en grande partie le lecteur. L’histoire est un plan, une carte à décrypter mais le trésor ne se trouve pas forcément à la toute dernière case. 

Extrait de Aserios Polyp – David Mazzucheli

La bande dessinée n’a de cesse de nous proposer des oeuvres toujours plus audacieuses, complexes et élégantes, frisant parfois avec l’abstraction. Il faut découvrir par exemple le travail de Bretch Evens ou de David Mazzucheli ; surtout Asterios Polyp (chef d’oeuvre absolu qui propulse l’art séquentiel dans une approche radicalement novatrice. Il faudra que j’y revienne). 

Et pendant ce temps-là le monde est parti en quenelle.

On cherche des super-héros partout, des individus capables de régler le moindre souci en 2 secondes, des hommes à poigne qui peuvent reprendre en main le destin d’une nation (…) Depuis quelques années le monde des comics et le monde réel se sont intervertis.

Oui, ok, dit comme ça c’est un peu brut. Mais à mesure que la bande dessinée s’est étoffée, devenant incontestablement le 9ème art, le monde a décidé de régler chaque problème en 22 pages. On cherche des super-héros partout, des individus capables de régler le moindre souci en 2 secondes, des hommes à poigne qui peuvent reprendre en main le destin d’une nation. Qui proposent des solutions clés en mains plus connes que dans n’importe quel vieux comics. Problème d’immigration ? Construisons un mur, mais vachement haut. Sérieusement ? Je crois que Fatalis même n’aurait pas osé à l’époque où il était encore un méchant relativement binaire. Depuis quelques années le monde des comics et le monde réel se sont intervertis. Avec en tête de gondole un personnage qui semble sorti des Simpsons (même couleur de cheveux, de peau, gueule de caricature). 

Le monde actuel est une fiction. D’abord parce qu’il est par essence médiatique. Nous communiquons de plus en plus avec des gens que nous ne voyons que par le prisme d’un écran. On voit pulluler des théories issues de l’observation assidue de fenêtres virtuelles qui conduisent à de pauvres syllogismes (le syllogisme est un raisonnement logique mettant en relation 3 propositions. Deux qui sont appelées prémisses et qui conduisent à une conclusionTous les hommes sont mortels or Socrate est un homme ; donc Socrate est mortel. Allez j’essaye :

La couleur verte est associée à l’écologie or le vert est aussi la couleur de l’Islam ; donc les écolos et les islamistes défendent les mêmes causes… Bon !
« Comme par hasard », j’ajouterais si j’étais mesquin et colérique.
 

Malheureusement je ne suis pas philosophe même si j’aime bien de temps à autre, rien foutre et réfléchir pour essayer de comprendre ce que je vois sur mon écran. Il me semble donc que nous sommes dans l’époque des super-sophistes et des paralogismes. Les sophistes sont des orateurs brillants utilisant des arguments spécieux et séduisants pour tromper, faire illusion et attirer l’attention sur leur discours. Le paralogisme est un argument faux mais présenté comme valide par un auteur.
Par exemple : tous les humains sont mortels, un âne est mortel ; donc un âne est humain. Bien sûr j’aurais tendance à dire que c’est pas totalement faux puisque beaucoup d’humains sont des ânes mais…
Oh bordel ! On se fait vite prendre au jeu…

Nous y voilà, comme le disait Adam Curtis dans son documentaire Hypernormalization, on a déposé une grosse couche de fiction sur le monde. Personne en particulier et tout le monde au quotidien s’invente et réinvente l’histoire de l’humanité. La société est une histoire racontée par le prisme des écrans, comme au cinéma le temps file, s’écoule et la narration avance. Il y a ceux qui racontent, ceux qui regardent, ceux qui voudraient raconter d’autres histoires. Tous aimeraient amener une conclusion, finir l’histoire et mettre leur nom sur le générique. Mais la société n’est pas le fait de quelques individus. Son présent et son avenir ne sont pas des histoires racontées par ceux qui prennent le micro, qu’ils soient des élites ou des obscurs et face auxquels nous n’avons tout au plus qu’un rôle de spectateur. Élites ou obscurs, les narrateurs cherchent à être vus, écoutés, adulés, alors ils embellissent, simplifient et raccourcissent la complexité d’un monde qui nous dépasse largement. Toutes les sources médiatiques nous abreuvent d’un flot ininterrompu d’information. Mais s’informer ce n’est pas comprendre. Et plus on s’informe plus la complexité du monde nous échappe. On tire des généralités, on cherche des explications qui tiennent sur un feuillet. Des individus qui nous montrent la voie et qu’on applique ou répète servilement.

Alors que, peut-être faut-il focaliser, accepter que tout n’aie pas de réponse. Du moins pas de réponse immédiate. Il faut choisir pour ne pas sombrer dans l’obésité informationnelle morbide, accepter de ne pas avoir un avis sur tout. Prendre le temps de chercher, aider, comprendre.
C’est déjà un début de réponse. 

Il y a quelques temps, Alan Moore disait :

Le fait que des centaines de millions de soi-disant adultes se rendent au cinéma tous les six mois pour aller voir Batman m’inquiète beaucoup. On dit de moi que je suis rancunier, que je déteste les super-héros, mais ça n’a rien à voir. On parle de gens de 30, 50 ou 70 ans qui se délectent des aventures de personnages créés pour distraire des adolescents de 12 ans, il y a cinquante ans. On me dit que les comics sont pour les adultes désormais, qu’il n’y a pas de mal à s’amuser. Je remarque pourtant que l’année où Donald Trump a été élu et une majorité du peuple britannique a voté pour le Brexit, les six premiers films au box-office mondial étaient des films de super-héros. Au bal inaugural de Trump, Kellyanne Conway (conseillère du président Donald Trump) était déguisée en Supergirl. J’ai récemment vu une photo d’Anthony Scaramucci posant comme Superman volant devant sa collection d’objets Superman. Le premier film de super-héros est sans doute la Naissance d’une nation de D.W. Griffith. Et les vengeurs masqués qu’on y voit sont les héros, pas les vilains. Ces masques ont un usage bien précis : les Américains veulent pouvoir agir sans assumer les conséquences de leurs actes. Pendant les tea parties* de Boston, en 1773, on se déguisait en Indiens. Il y a quelque chose de très lâche là-dedans.

Alan Moore – Libération, 25 novembre 2017
*C’est un événement marquant de la révolution américaine qui précéda la guerre d’Indépendance.
Le 16 décembre 1773, soixante Bostoniens nommés Les fils de la liberté grimpèrent à bord des trois navires (le Dartmouth, le Eleanor et le Beaver) costumés en Amérindiens de la tribu des Agniers car ces derniers suscitaient la terreur à cette époque. Silencieusement, entre 18 et 19 heures ils ouvrirent les tonneaux et jetèrent 342 caisses de thé par-dessus bord. Rien ne fut volé, ou détruit intentionnellement, hormis les 45 tonnes (90 000 livres) de thé, d’une valeur de 10 000 Livres.

J’aime bien Alan Moore. Il n’impose rien. Il constate. À travers ses bandes dessinées, il ouvre des perspectives. Il ne fait pas de ses oeuvres des pamphlets vindicatifs ou des histoires indiscutables mais il aide à détricoter l’évolution de la société, son rapport à la culture populaire et la complexité des rapports humains. 

Je suis fier de faire partie de la working class. Je me sens plus libre grâce à ça. Plus fort aussi. Jérusalem est une célébration de nos principes. Et je pense que c’est salutaire, parce que personne ne le fait. La littérature qui s’intéresse à la classe ouvrière, qui est souvent écrite par des personnes issues de la classe moyenne, ne le fait que sur deux registres : soit elle la condamne pour sa stupidité et sa vulgarité – comme chez Martin Amis – soit elle la plaint et la prend de haut, ce qui est tout aussi inutile et ineffectif au cas où l’on souhaiterait s’adresser aux personnes qui en sont issues. Les pauvres, comme tout le monde, se voient comme des héros au sein de leur propre récit.

Alan Moore – Toujours dans Libération, 25 novembre 2017

Alors voilà je continue à lire des bandes dessinées…

Payer la terre 
Joe Sacco
XXI/ Futuropolis – 2020

Certains connaissent peut-être déjà le personnage parce qu’il s’est largement illustré dans le domaine de la bande dessinée documentaire. Je découvre non seulement le personnage mais aussi la force de son dernier opus. Payer la terre. Joe Sacco, c’est le maître de la BD de reportage. Il s’est illustré précédemment entre autres par ses récits sur le conflit entre Israël et Palestine (Palestine chez Vertige Graphics, 2 tomes, Gaza 1956. En marge de l’histoire chez Futuropolis), la guerre en Bosnie (Gorazde chez Rachkam, The Fixer : une histoire de Sarajevo chez Rackham)… Étant passé à côté de ses ouvrages, je le rattrape par l’intermédiaire de sa dernière BD qui s’intéresse au sort des Dénés, un peuple faisant partie des premières nations vivant dans les territoires du Nord-Ouest du Canada. 

C’est intéressant, instructif, captivant et passionnant. D’une approche et d’une intelligence rare. Joe Sacco nous raconte l’histoire, le quotidien, les traumatismes vécus par ce peuple réduit à peau de chagrin qui continue à lutter pour faire entendre ses droits, sa culture et son existence. Témoignages historiques racontant leur rencontre avec les premiers colons. Comment ceux-ci se sont accaparé la terre sur laquelle ils vivent pour l’exploiter par fracturation hydraulique. Comment ils les ont dépossédés de leur culture jusqu’à l’anéantir par l’évangélisation massive avec les pensionnats autochtones (une horreur), les allocations et comment les Dénés se relèvent après avoir été mis à terre pour faire renaître et pérenniser leur culture et leur rapport à la Terre tout en étant conscients de l’évolution du monde. Pas de parti-pris flemmard ou binaire, Joe Sacco expose sa propre subjectivité mais la rend perméable aux faits. Le livre expose tous les enjeux et les problématiques sans chercher des coupables évidents. À travers ses dessins aux traits magnifiques, il construit une enquête à hauteur d’homme et pose un regard humain et bienveillant sur toutes les personnes qu’il croise. 

Sans afféteries esthétiques mais d’une grande délicatesse d’exécution certaines planches sont d’une beauté à couper le souffle. Elles donnent à voir cette nature ancestrale et nourricière que les Dénés respectent et aiment profondément. Et dont ils ont été dépossédés. Payer la terre c’est une expression Dénés qui signifie Redonner à la nature ce que la nature nous a donné. Avec cette BD Joe Sacco s’acquitte à merveille de la tâche. Une oeuvre brillante et salutaire.

Malgré tout on ne peut s’empêcher de refermer le livre avec une profonde tristesse parce qu’il donne à voir le massacre et la volonté profonde d’anéantissement d’une culture par les colonisateurs. Ils n’ont pas seulement essayé de supprimer les hommes, ils ont voulu effacer leur culture, leur langue et tout ce qui faisait l’identité des Dénés, pour s’approprier le Denendeh (la terre des gens, leur territoire). Il faudra une centaine d’années pour réduire à presque rien 30 000 ans d’histoire d’un peuple. Combien de temps faudra t-il pour qu’ils se reconstruisent ? Combien de temps on leur laissera ? Combien de fois cette histoire s’est produite ?

Scalped
Scénario de Jason Aaron –
Dessiné par RM-Guéra
Urban Comics

La série Scalped a permis à Jason Aaron de se faire une place dans le monde du comic-book. Peu après il est devenu un des talents reconnu de l’écurie Marvel en écrivant pour Serval, les X-Men, le Punisher, Black Panther, Thor (l’itération féminine du personnage), Hulk, Docteur Strange… Bon à peu près tous en fait. Il écrit également pour Image Comics, Southern Bastards et The Goddamned dessinés par son comparse de ScalpedRM Guéra. Et pour DC Comics, un one shot sur le Pingouin, Scalped et Hellblazer.
Gros Palmarès pour un scénariste prolifique.

https://www.jasonaaron.info

Rajko Milosevic a.k.a Gera et R.M. Guéra est un dessinateur d’origine serbe vivant à Barcelone. Il s’illustre particulièrement sur la série Scalped et Le lièvre de Mars écrit par le scénariste français Patrick Cothias et paru chez Glénat.

Des années après l’avoir quittée, Dashiell Bad Horse est de retour dans la réserve de Prairie Rose, dernier territoire autorisé des indiens Lakota. Il s’était juré de jamais y remettre les pieds. Il retrouve sa mère, qu’il déteste parce qu’elle ne s’est pas occupé de lui quand il était jeune,  privilégiant ses activités de militante pour les droits des indiens. Il se fait embaucher par Lincoln Red Crow, ancien militant également au côté de sa mère, dirigeant de toutes les activités criminelles et qui accède enfin à son rêve : ouvrir un casino dans la réserve qui permettrait, selon lui, de lui redonner vie. Mais Dashiell est un agent du FBI et sa mission est de prouver la culpabilité de Red Crow dans le meurtre de 2 anciens agents assassinés dans les années 70.

Un parfait scénario de polar ! Mais Scalped c’est bien plus que cela. C’est une gifle monumentale qui redéfinit les codes du genre en les plongeant dans le cadre et l’histoire du peuple Lakota.

Le constat est amer, brutal et sans concession : c’est la victoire de la drogue et du crime organisé sur la fierté d’un peuple. Au travers de l’histoire de Dashiell c’est toute la réalité du peuple Lakota qui est mise en lumière. Enclos dans leur réserve, sans travail, sans argent, sans avenir, dépossédés de leur culture et de tout ce qui faisait leur grandeur, Aaron et Guéra dessinent une suite de destins tragiques. On assiste impuissant aux derniers soubresauts d’un peuple abandonné de l’histoire américaine. Tous les personnages ont droit à leur histoire et toutes sont une facette, une manière de tenter de survivre face à l’extermination. De Red Crow, le leader, prêt à se salir les mains pour ce qu’il estime être la seule opportunité pour son peuple, la mère de Dash, Gina Bad Horse, qui s’est battue toute sa vie pour ce qu’elle estimait être juste, le secret de Shunka, Carol, la fille de Red Crow, l’énigmatique Catcher, Wooster T.Karnow, le shérif de White Haven, l’agent Nitz… Et bien sûr Dash Bad-Horse, un anti-héros absolu qui se déteste au moins autant qu’il déteste ses origines. L’élan, l’araignée, l’ours, le hibou. Pas un pour rattraper l’autre mais tous restent tellement humains, troubles, complexes, éprouvant les limites de la morale officielle et la leur. Toujours à la poursuite de quelque chose qui les fuit. On est assez loin de certains personnages de séries ou de comics où seul un traumatisme d’enfance reflète toute l’ambiguÏté d’un personnage.

Sur l’histoire principale se greffent des histoires parallèles, et si parfois certaines n’ont pas un lien direct avec celle de Dash Bad Horse, comme Écouter tourner la terre, toutes concernent cette anti-chambre de l’enfer au doux nom de Prairie Rose

Le dessin aux traits épais et violents de Guéra sert totalement le propos. Il capte la noirceur des situations et de l’âme des personnages. Il me semble que c’est le pendant fiction idéal de Payer la terre de Joe Sacco. Scalped met en scène ce que la colonisation, l’appropriation, le déracinement et l’anéantissement de l’histoire des peuples premiers a pu provoqué dans l’esprit de ceux-ci.

Scalped ! c’est de l’or en barre. Un énorme morceau de charbon qui recèle en son sein l’éclat étouffé du peuple Lakota. 

Une adaptation en série télé serait en cours. Est-ce qu’elle sera aussi puissante que la BD ? Il faut l’espérer mais en attendant, si vous aimez les polars, précipitez vous sur l’intégrale de Scalped. Urban Comics a réédité la série en 5 intégrales entre 2016 et 2018 : http://www.wallcave.com/filter/scalped/

Femmes Sauvages
de Tom Tirabosco
Futuropolis

Tom Tirabosco est un auteur et dessinateur de bandes dessinées vivant à Genève. Bon, je vous avoue je connaissais pas le bonhomme avant de découvrir son dernier opus. Et pourtant, Tom Tirabosco est ultra prolifique. Il réalise des affiches, des dessins pour la presse, des expositions en plus de ses bandes dessinées aussi bien pour adultes que pour les enfants. Jetez un coup d’oeil à son site plutôt bien fait et assez riche et complet. Il donne clairement envie d’en connaître plus sur l’oeuvre du monsieur : http://www.tirabosco.com/index.html

En feuilletant les pages de cette bande dessinée, je suis tombé en admiration devant les dessins. Non. plouf, plouf, je recommence. Le titre et la couverture m’ont d’abord intrigué puis en l’ouvrant je suis tombé en admiration devant les dessins de Tom Tirabosco réalisés à la craie grasse. Un rendu dingue de précision, de minéralité et de sensualité. 

Femmes Sauvages est un récit d’anticipation qui suit le périple d’une jeune femme sans nom au sein de la nature pour rejoindre un campement rebelle. Une anticipation terriblement proche puisqu’elle pourrait très bien se dérouler dans les cinq prochaines années si, par exemple le président jaune était réélu. Un monde s’effondrant suite aux dérèglements climatiques, un système capitaliste en déliquescence, une société en guerre civile. La femme fuit dans la nature et va devoir réapprendre à y vivre. Elle rencontre sur son chemin des chasseurs abrutis, vestiges d’un système délétère et un personnage étrange avec qui elle va vivre l’aventure de sa vie. 

Comme on dit souvent, l’important n’est pas la destination mais le voyage. Récit d’apprentissage, philosophie naturaliste qui passe avant tout par l’expression graphique. Un dessin dur, brut et qui peut laisser transparaître une certaine douceur dans les traits, les expressions et les gestes de ses personnages. Plus le temps passe et moins les mots sont importants. C’est une histoire belle, dure, intransigeante parfois, assez sombre mais pleine d’espoir. Comme une vie qui s’écoule. Un destin qui s’affirme. Une vie qui continue.

Et pour ceux qui voudraient aller plus loin dans les Syllogismes et autres sophismes…
Syllogisme
Induction (logique)
Sophisme

Tony Gagniarre
Juillet 2020