Prenez les quiproquos d’une pièce de Ionesco. Ajoutez-y une pincée de patois montcellien et d’humour qui nous sauve quand on doit rester chacun chez soi pour une durée indéterminée. Puis un soupçon d’inquiétude et de solidarité entre voisins.
Le résultat ? Un dialogue téléphonique que nous a rapporté Gilles Desnoix et qui témoigne des balbutiements de notre première semaine de confinement.


– Hein le contingent ?
– Non, Germaine, le confinement
– C’est quoi ça ? Moi y a longtemps que je fais mes bocaux, ma mère faisait ça… enfin moi, j’te parle dans les années trente
– Bien sûr, Germaine, je me rappelle de la Louise, j’ai équeuté les haricots avec vous à la veillée, tout gamin… je parle du confinement
– Parles dans l’oreille droite, je sais pas mais d’puis mes quatre vingt dix ans j’ai la gauche qui feignasse.
– C’est vous qui tenez le combiné Germaine, je disais le confinement
– Non j’ai b’soin de rien, la Paulette, ma belle fille vient tous les deux jours m’apporter ma marande, j’manque de rien
– D’accord, Germaine, c’est bien, mais faut pas aller en ville à pied sans votre attestation
– Oh, ben sûr qu’euj fais attention, o conduisirent comme des fous, te peux pas traverser qu’y sont sur toi avec leur Mobilette
– Scooter
– Non, non, non, on ne me fera pas taire, eud mon temps on était plus disciplinés
– Ben à propos de discipline, faut pas aller en ville sans votre attestation de déplacement dérogatoire
– Ah non, elles sont farineuse, mais faut s’faire une raison, c’est plus la saison
– Euh, oui, bon à part ça vous allez bien ?
– Du caoutchouc, avec mes deux dentiers je ne peux plus, alors je prends des biscottes, mais dame, ça se met entre la gencive et l’appareil. On s’demande ce qu’on va bien encore pouvoir manger.
– Oui c’est vrai on ne trouve plus de bon pain
– Non, j’bois que de l’eau, le Ferdinand y buvait son p’tit canon, mais moi non
– Vous êtes sobre
– J’m’habille plus mon pauvre… La Paulette o voulait que j’m’habille j’y ai dit pourquoi faire ? j’fé ma toilette d’chat et c’est ben bon
– Oui, oui, bon prenez soin de vous
– Pour ça c’est bon, j’ai un porte monnaie plein, quec tu veux que j’en fasse de mes sous ?
– Bien, bien, Germaine, je vous rappelle demain
– Non, j’sors pu d’chez moi, ou juste pour aller à la poste et acheter la boite d’mon chat, alors tu parles qu’est-ce que j’irais aller voir ma nièce à Oyonnax..
– Bisous
– En tout cas merci de m’appeler, mais j’ t’ai d’jà dis j’ai pas b’soin d’sous. Bon j’ai le frichti dans la casse su’l feu alors j’raccroche.
Silence, raccrochage avec hochement de tête.
– Qu’est-ce qu’elle dit la Germaine ?
– Qu’elle assez de sous dans son porte monnaie
– Je t’avais dit de demander si elle avait besoin de quelque chose, bon tant pis je la rappellerai
Bruits de casseroles indistincts et replis à l’abri des toilettes….