Au pied des monumentales petites choses. Le titre est mystérieux, mais c’est pourtant exactement là que se place la comédienne Marie-Juliane Marques pour nous conter la vie de ces différentes femmes qui peuplent la ville, que la ville peuple. Leurs peurs, leurs espoirs, comment la vie les a gâtées ou lésées. Un portrait en kaléidoscope à l’écriture ciselée par une actrice caméléon à l’énergie débordante sur scène comme en interview.

Marie-Juliane nous a fait le grand plaisir de nous confier la réalisation de son teaser. L’outil vidéo étant devenu la norme pour réussir à faire connaitre un spectacle. À l’heure de sa sortie, il nous semblait évident de vous le partager accompagné de quelques questions posées à l’artiste, tant le jeu comme l’écriture nous ont convaincus.

Parle-nous de ton parcours de comédienne, comment on passe d’interprète au fait de créer son propre spectacle et d’affronter seul le public ?

Sans réfléchir surtout 🙂 !
Si on y pense, on ose pas le faire ! En tout cas pour ma part.
Avant, je me disais « j’attendrai plusieurs années d’expérience de comédienne-interprète pour ensuite tenter des créations ou même mener des ateliers » et j’ai fait l’inverse !
C’est le contexte, le moment, et mon côté speed et tête brulée qui m’ont poussée. Poussée à rester en action, à avancer quoi qu’il arrive… Sinon on ne se lance pas raisonnablement à devenir comédienne passé 30 ans je pense.
Bon, pour essayer de répondre quand même plus concrètement à la question : il y a eu le Covid, et je me suis dit « je ne reste pas enfermée chez moi à attendre qu’on m’appelle pour travailler, je vais devenir folle», alors j’ai repris les personnages créé pour ma sortie d’examens au conservatoire et j’ai continué de les bosser, parce que je m’étais attaché à elles, j’avais finalement assez envie de continuer à les faire vivre… J’avais écrit un solo avec plusieurs portraits de femmes (Covid oblige) pour ces exams… Rien ne m’empêchait de reprendre ces 40 minutes de travail et de poursuivre la forme, et si ça marchait et que ça plaisait j’avais un petit spectacle à jouer, j’aurais au moins fait ça en attendant.
Mon ancienne carrière avec le C2, le socio-culturel, me permettait d’avoir des copains avec de petits lieux en Saône-et-Loire, où squatter pendant leur «hors-saison», j’ai mis les pieds dans le plat, j’ai demandé juste des prêts de salles de quelques jours et à chaque départ, je montrais les étapes de travail. On a fini par me dire «c’est pas mal en fait ton truc, tu viens jouer la saison prochaine», et là j’ai du monter une compagnie pour pouvoir le vendre.
Aujourd’hui le plus dur c’est de se faire connaitre, jouer assez pour entretenir la machine, le rythme, et que le plaisir reste. À force de jouer trop brièvement, le spectacle n’est pas vu et on s’essouffle.
Affronter le public, ce n’est pas un problème, c’est tout l’inverse, c’est repartir avec de l’énergie, boostée pour continuer, avoir envie de s’accrocher, pour affronter plutôt la com’, les budgets-zéro et les programmateurs un peu froids.
Monter son spectacle c’est juste avoir envie de dire, être créatif, ça je ne manque pas, c’est même quelque chose à freiner et à canaliser pour que j’y arrive vraiment.
Pour mon parcours, j’ai juste fait du théâtre de 7/8 ans à 18 ans en passant par le chant, la danse, la musique, le dessin, la lecture… La rêverie !
Quand le social, et les ballotements politiques m’ont épuisé dans l’action culturelle, que j’ai voulu repartir de zéro, je ne pouvais pas me ré-inventer totalement, devenir une autre, repartir de rien en oubliant ce qui m’a forgée. J’ai juste voulu imaginer vieillir sans regret, je me suis dit je tente le théâtre, si ça ne marche pas j’ai rien à perdre, j’achète un camion et je pars faire des saisons, rencontrer plus d’humain, monter des interviews, des mini-films et on verra bien. Peut-être que je ferai les deux…

Le teaser version longue

Parle-nous du processus de création de ce spectacle. Comment est venu l’idée, l’écriture des textes, comment as tu donner de la cohérence à tout ça ?

L’idée c’était déjà de choisir un sujet. Et pour trouver «le bon», j’avais besoin de trouver ce qui me touchait moi aujourd’hui dans ma vie, pour espérer trouver les mots et toucher le public.
Alors, je me suis mise a chercher des monologues de femmes, sur le thème de la solitude citadine. Retourner en ville, à Dijon, après mon retour à la campagne, m’a rendu assez triste, et j’avais l’impression, je l’ai toujours, d’être une anonyme et de croiser beaucoup d’autres solitudes en ville.
J’ai beaucoup lu pendant mes deux ans de formation/covid. Je voulais faire plusieurs portraits pour travailler mon jeu, et donner une vision à spectre large sur le sujet, pour pouvoir toucher un max de monde !
À chaque étape de la vie, on est centré sur des questionnements différents. Je voulais du tout public, du «pour tous». Parler de choses actuelles et universelles.
Après des bons auteurs ça ne manque pas ! Et puis il y’a pleins de choses qui viennent, sans qu’on s’en rende compte, des choses qui veulent parler malgré nous, qu’on ne comprend qu’après… Il faut essayer pour s’en rendre compte. On apprend à se découvrir mieux par le théâtre et à oser, on se sent exister.

La ville est un personnage à part entière de l’écriture, racontes-nous ta relation avec elle. Quelle place prend-elle dans ta vie ? En quoi elle t’apporte et en quoi elle te contraint ?

La ville c’est plein de choses et de sujets.
La ville, c’est du bruit constant, des gens speeds et ultra-connectés.
De la surconsommation, de la pollution, de la bétonisation.
Du métro-boulot-dodo et de la télé pour se reposer.
Un système capitaliste qui nous abruti dans de la consommation.
Du non-choix. Du non-conscient.
De la soif d’émotion éphémère pour survivre à ça.
Du travail subi, sans confiance en l’humain. 
De la pub et de la standardisation. 
De la crainte, de la peur, du fait-divers.
Et moins d’espaces de liberté et de rencontres humaines.
Elle vit tellement que j’y trouve beaucoup de nourriture pour m’inspirer !

Je veux pas voir tout en noir, je cherche ce qui ne marche pas bien, qui enlise, pour donner à réfléchir, se ré-ajuster, et aller mieux.
Redonner pouvoir et confiance. Pour prendre la parole de manière utile.
On me dit qu’on a besoin de positif, mais quand on a le culot de prendre la parole devant une assemblée de gens, on doit avoir quelque chose d’important à dire, et je me trouve finalement assez lisse, ce qui me permet de prendre quand même la parole, qu’on me la donne un peu.

Quels sont les projets à venir ?

Faire vivre ce spectacle, le jouer, le montrer ! Et commencez à écrire la suite.
Si l’avenir me le permet, je voudrais travailler autour de ce sujet avec le même processus de création, garder les mêmes contraintes : plusieurs monologues, un espace simple, toujours la ville en video-projection et à l’opposé des quotidiens extra-ordinaires de femmes de tous les jours.
Et puis ne plus être seule, pour m’aider à créer moins en douleur, et m’apporter du recul, un regard extérieur, une aide moral comme technique.
J’imaginerais bien un triptyque, pour gagner en qualité d’année en année, en gardant tout ça et en améliorant, en théâtralisant et en poétisant davantage.
Parce que la ville est foisonnante, j’ai envie d’une SDF, d’une migrante ou immigrée, concierge après avoir été travailleuse sociale, d’une mère seule, de pauvreté citadine, d’une addict au sport qui a repris confiance en elle et arrive à tenir les cadences du boulot grâce à ses footings, d’une infirmière sous Prozac parce qu’elle n’arrive plus à gérer son boulot plus sa mère atteinte d’Alzheimer, d’une grand-mère sage, qui arroserait ses plantes, et regarderait toutes les autres courir…

Benjamin Burtin, Juin 2023