Nergal, Doksan, des blases qui te disent peut-être quelque chose si t’es du bassin minier… Ils n’ont plus vingt ans, s’affranchissent de tous les codes et de toutes les règles de production musicale parce que leur leitmotiv depuis toujours, c’est FAIRE, quoi qu’il en coûte. Le jeu de mot est mauvais connaissant leur couleur politique bien bien à gauche mais ils s’assument, parce que ces deux enfants du pays ne se découragent devant rien, depuis longtemps, n’ont jamais cessé de s’inventer et de la jouer collectif au service de la musique dans notre territoire.
Ils ont eu leurs heures de gloire dans des groupes de hardcore comme HK, Ikki ou Temps Mort, ont poursuivi avec le rap avec Calavera, Mary Read ou Trauma, ont écrit, enregistré, produit un nombre de disques incalculable à eux deux. Il y a quelques mois, un débat montcellien faisait rage sur les réseaux sociaux et certains artistes de musique classique se targuaient d’avoir le monopole de l’organisation de concerts caritatifs. NERGAL et DOKSAN n’ont pas à rougir, ils ont fait leur part de concerts de soutien, d’organisation d’événements dans les milieux associatifs et militants. La scène alternative leur colle à la peau et ce serait un blasphème de parler d’eux au passé. Non seulement ils sont toujours bien vivants, mais aussi toujours aussi corrosifs et talentueux. Ils sortent leur toute fraîche collaboration, « Morsures » et on n’est pas peu fiers de vous présenter l’album en exclu sur ODiL ! On a pris le temps de papoter pour vous donner envie d’écouter le disque, de l’acheter et de vous bouger les miches quand ils le joueront en live !
Pour commander l’album en CD ou digital c’est là
Nergal, ça fait combien de temps que t’avais pas sorti un disque ? Et toi Ben ?
NERGAL:
Hey, ça faisait 16 ans que j’avais pas sorti un projet rap solo (2007) mais je n’ai pas été inactif pour autant puisque durant cette période on a sorti plusieurs productions avec le Collectif Mary Read, un groupe de rap dont je faisait partie, plusieurs morceaux de compil’ en solo ou avec des featurings ont été également enregistrés. Parallèlement, j’ai joué dans un groupe de hardcore métal qui s’appelait Temps Mort avec lequel on a sorti une démo et un album. Donc, je ne me suis jamais vraiment arrêté de sortir des disques durant tout ce temps. Cela dit c’est vrai que j’ai du mal à travailler totalement seul, j’ai besoin de faire partie d’un groupe pour me motiver à sortir quelque chose. Depuis que je fais de la musique, je le fais en groupe, j’ai besoin de cette émulation, je ne peux faire de la musique qu’avec des ami(e)s, j’ai déjà essayé de faire de la musique avec des gens dont je n’étais pas proche…… ça ne marche pas, pas pour moi en tout cas.
DOKSAN :
Putain c’est la classe d’être interviewé dans son propre média, j’ai l’impression d’être Xavier Niel. Du coup appelle moi Doksan, je resterai undercover.
Ça fait effectivement un bail, depuis la fin d’Acrobatprod et de Trauma en 2012, j’ai sorti quelques maxi sous le nom de Doksan, des deux titres où je posais les textes sur les intrus de copains producteurs. Mais je n’avais pas composé depuis 10 ans, je n’en ressentais plus le besoin et le courage.
Comment vous avez procédé ? C’est une prod bien DIY nan ?
DOKSAN :
On en a parlé au début de l’été 2022. En août, je me suis pris une petite semaine, j’ai pondu une trentaine de bases d’intrus que j’ai proposé à Nergal. Puis nous en avons choisi 10 en se disant que c’était déjà un nombre correct pour un album.Il avait quelques textes déjà prêts qui se sont adaptés, sinon le reste c’est du tout neuf. Ensuite sur l’automne 2022, après moults réarrangements et maquettages, on a enregistré ça chez ODiL, il a fallu le temps du mixage où là les années passées m’ont fait perdre les automatismes. Puis enfin un mastering longuement discuté avec Christophe Leusiau, mon oreille était un peu rouillée.
NERGAL :
Et bien, on a procédé comme d’habitude, comme on sait faire. Depuis qu’on fait de la musique, on fait au maximum de façon DIY. Dès le début on a fait comme ça, pas par conviction mais par nécessité. Quand t’as pas de thunes, tu fais par toi même, tu fais des enregistrement dégeu d’instruments dont tu ne sais pas jouer et puis tu progresses en même temps que t’apprends à jouer. C’est après, quand on a commencé de tourner dans la scène punk/hardcore qu’on a eu la théorie, la pratique on l’avait déjà un peu. À notre grand âge maintenant, on maîtrise les choses, on passe moins de temps en enregistrement et on est plus regardant sur le résultat final. Pour ce disque j’ai enregistré mes voix en deux après-midi sur des squelettes de prods que j’avais présélectionnés dans la fournée que Ben a produit. Ensuite Ben a orchestré et arrangé tout ça, mixé dans la foulée et Christophe s’est occupé du mastering. C’est donc un disque 100 % montcellien et DIY, au moins pour l’enregistrement, le produit final est manufacturé. Quand on était plus jeunes, on réalisait les pochettes nous-mêmes et on dupliquait les CD’s. Il faut croire qu’en vieillissant on est moins jusqu’au-boutistes ou plus faignants, ou les deux.
Parlez moi de l’album, de quoi ça cause en mots et en sons ?
NERGAL :
Pour ce qui est des textes, j’ai écrit ça sur une période assez longue. Certains morceaux ont été écrits il y a plus de deux ans et d’autres ont été finalisés juste avant l’enregistrement. C’est des textes assez sombres, ça parle de la société capitaliste et policière qui avance comme un rouleau compresseur et qui tue à petit feu les classes populaires, de la mort à laquelle on est de plus en plus confronté en vieillissant, ça parle, évidemment de révolte et d’insoumission, d’anarchie et quelques trucs persos. Ce sont des thèmes qui me sont chers et que j’explore depuis un moment. Je ne fais pas de chansons d’amour, pour moi, faire de la musique est un acte politique et je ne peux le dissocier de mes engagements et de mes convictions personnelles. J’ai toujours fait de la musique dans cette optique et ça ne changera pas.
DOKSAN :
Pour ma part, d’un côté je ne voulais pas reproduire ce que je faisais avant, mais j’ai quelques habitudes et puis Nergal venait aussi chercher une formule qui nous convenait avant. Du coup j’ai fait simple, je me suis éclaté à écouter plein de morceaux, j’ai samplé tant que pouvais. Peu importe d’où vient la boucle de base, ce qui fait l’homogénéité à mon avis c’est comment je recompose par dessus. Y’a pas de volonté de coller à un style du moment, je ne sais même pas si c’est has been ou pas, je ne sais pas réellement ce qui se passe dans le rap ces derniers temps. Il a fallu juste trouver comme d’habitude le bon mix entre la puissance nécessaire au style de Nergal et les ambiances marquées que j’aime développer.
Si vous souhaitez remixer les morceaux ou kicker les prods, l’album Morsures est disponible en versions A Capella et Instrumentale
Faire du rap ici à Montceau, ça veut dire quoi ?
DOKSAN :
Pfiou, ça fait 20 piges qu’on fait ça et tout le monde s’en fout un peu hein. Y’a toujours eu du rap ici, même de très bons rappeurs, mais il n’y a jamais eu de structuration de la scène. Je pense qu’on a souvent été les plus actifs, mais on était bien trop spécifiques dans notre style, notamment l’engagement politique, pour être fédérateurs pour les plus jeunes. D’ailleurs nos grandes heures, notamment avec Calavera ou Mary Read se sont passées loin d’ici, beaucoup de concerts mais pas souvent à Montceau. Ici c’est une terre de rock plutôt et même si on fait du rap comme des punks, c’est pas toujours simple. Maintenant on est vieux, je suis pas sûr qu’on espère encore quelque chose d’être rappeurs à Montceau, on fait ça pour les quelques dizaines de gens qui nous suivent encore ici ou ailleurs. Après c’est clair que notre rap est influencé par l’ambiance contestataire existant historiquement sur le bassin, bref, 40 piges passées mais toujours énervés.
NERGAL :
Ça veut pas dire grand-chose sinon que je ne suis pas né dans le ghetto, je suis né à Galuzot. Je suis petit fils de mineur, j’en garde une certaine idée de la solidarité et ça me permet de faire quelques références à ce milieu prolétaire dans mes textes. Est-ce que mes textes auraient été différents si j’étais né ailleurs ? Certainement ! Après, je garde un attachement pour cette ville même si elle complètement pourrie et si la probabilité d’y devenir fou ou alcoolique est forte. Sinon, du point de vue des institutions, ça fait plus de 20 ans qu’on fait de la musique et qu’on organise des concerts ici, qu’on fait des tournées dans toute l’Europe et tout le monde s’en fout. Jamais un responsable politique n’est venu nous voir pour nous proposer quoi que ce soit ou pour nous demander comment on faisait pour organiser des concerts de musiques actuelles, comme ils disent, depuis tout ce temps et sans subventions. En même temps je me dis que ce n’est pas plus mal, on n’a pas forcément besoin d’eux pour tracer notre sillon. Le truc que je trouve navrant, c’est qu’il n’y a pas de salle de concert dédiée à ces fameuses musiques actuelles sur le bassin minier. C’est bien révélateur de la faillite de la politique culturelle municipale : de la musique de chambre ou des concours d’accordéon, dans une salle de 900 places remplie au tiers, quand tout va bien et que le spectacle n’est pas déplacé dans une salle plus petite, faute de réservations. Ouais, en fait, faire du rap ici, ça veux pas dire grand-chose mais il faut quand même être sacrément passionné.
Où peut-on trouver le disque ?
NERGAL :
En numérique sur bandcamp ( https://nergalrap.bandcamp.com )et sinon, de la main à la main, pas de supermarchés culturels ni de plateformes en tout genre. J’ai toujours été nul en com.
DOKSAN :
Tu peux le commander en digital ou CD, tu peux le choper chez ODiL ou partout où Nergal sera présent, il est un peu teigneux mais si c’est pour lui acheter un disque il ne vous mordra pas.
Y a des concerts de prévus ?
DOKSAN :
Le gars NERGAL est un homme de scène, moi bien moins. Mais je suis à deux doigt d’avoir envie d’aller faire ses backs pas trop loin. Mais j’imagine qu’on va aller défendre ce skeud un petit peu quand même.
NERGAL :
Je joue le 14 juillet (jour de défaite nationale) au café associatif la forge à la Tagnière, je vais peut-être improviser une release party rapidos à Montceau pour présenter le disque et chercher quelques concerts pour la rentrée. J’ai toujours été nul pour me vendre.
Retrouver toutes les apparitions précédentes de Nergal dans la compilation Rares & Collabs et la version remasterisée de sa première démo
Vous serez jamais à la retraite en fait ?
NERGAL :
Non, surtout avec les gouvernements successifs qu’on se tape depuis un moment….. la retraite, on n’y est pas encore !!
DOKSAN :
« Hardcore jusqu’à la mort » qu’il disait l’autre. On a pris deux ans de plus comme tout le monde on verra bien où ça nous mène mais c’est pas la situation sociale, environnementale et politique du moment qui fera qu’on a moins de choses à dire.
Laëtitia pour ODiL, juin 2023